Chapitre 114 : Beauté

Après un long et difficile combat, Skill et son équipe furent vaincus, au prix des sacrifices d'Annie et de Miranda. Skill accepta de fournir des informations concernant le frère jumeau d'Al. Apparemment, Floyd serait en contact avec un usurier qui pourrait indiquer aux protagonistes où il se trouve. Après avoir donné tous les renseignements dont il disposait sur le prêteur et ses employés, Skill finit par conclure un pacte de non agression avec ses anciens ennemis, sans pour autant s'associer à eux.

Cammy et ses amis (Al, Agiel, Kerry et Daisy) se firent la promesse de survivre quoi qu'il arrive, et elle s'engagea également à arrêter Al s'il était tenté d'accomplir des actes trahissant ses principes.

De son côté, Trash (Berthold), dévasté et en froid avec tout le monde excepté Cammy, se jura de tuer Skill de ses propres mains.

La destruction du quartier de Disease, fruit de la bataille entre les deux teams, fit la une du journal. Cet article intéressa fortement deux individus aux intentions douteuses.

***


Ça fait maintenant plus d'un mois qu'Al et Cammy réfléchissent à un moyen de soutirer des informations à l'usurier, sans succès. Même un escargot avance moins lentement que leur quête.

Assise sur le lit de sa chambre exigüe, Cammy soupire, avant de faire une énième proposition :

« On pourrait se rapprocher de lui, devenir ses potes et un jour, lui faire cracher le morceau dans une conversation banale ? »

Installé sur la chaise de bureau, Al souffle.

« Et ça va prendre combien de temps ? D'après ce qu'on sait, ce Jack n'est pas quelqu'un qui fait facilement confiance. »

La jeune femme grimace, déçue.

« D'ailleurs, c'est la première fois qu'un gros antagoniste utilise son vrai pseudo, au lieu d'un pseudo à la noix, remarque Al.

- Pas vraiment, Jack est aussi un surnom, rectifie Cammy en s'écroulant sur son matelas. C'est un diminutif pour Jackpot. Apparemment, il aime beaucoup la thune. »

L'humain se tape le front.

« S'il était aussi nul au combat que pour trouver des surnoms, l'affaire aurait été vite réglée » grommelle-t-il.

Il fait déjà nuit. Al en a marre de se torturer les méninges depuis des heures. Ça ne l'étonnerait pas de voir de la fumée sortir de leurs oreilles. Il se lève nonchalamment, avant de proposer :

« On s'arrête là pour aujourd'hui. J'ai une review à écrire.

- Quoi, déjà ?! tressaute son interlocutrice, pourtant fatiguée également. On peut pas s'arrêter maintenant. Et si Floyd est en train de faire des sales coups en ce moment ?!

- Bah, on n'y peut rien. Si même un gros cerveau comme celui de Skill n'a pas pu trouver de solution, c'est pas avec nos cervelles de moineaux qu'on va y arriver.

- Parle pour toi, réplique la jeune femme. Moi, j'ai un gros ciboulot. »

Al hausse les épaules pour signifier que la réunion est terminée, qu'elle le veuille ou non. Alors qu'il se dirige vers la porte, la nigh l'interpelle :

« Attends. Comment tu fais pour continuer à écrire ? Moi, j'ai supprimé l'histoire dans laquelle je déballais ma vie. J'ai des idées pour un nouveau roman, purement imaginaire, cette fois. J'ai même le scénario et tout. Mais à chaque fois que j'essaie de commencer un chapitre, j'y arrive pas. Pourquoi... ? J'ai envie de faire un nouveau livre pour remonter le moral de Berthold. Il est tout le temps super triste... »

En remarquant l'air maussade de son amie, Al a une idée de ce qui lui arrive. Il explique :

« J'imagine qu'Agiel aurait dit un truc du genre : ça doit être un traumatisme lié à ce qui est arrivé à Annie. Elle était fan de ton histoire, non... ? Je parie que tu penses à elle à chaque fois que tu essaies d'écrire un truc.

- Oui, c'est ça ! Comment surmonter ça ?

- Aucune idée... peut-être qu'Agiel aurait pu t'aider. Dommage qu'elle ait décidé d'arrêter d'être psy. »

Lisant la détresse sur le visage de Cammy, Al écarte ses bras. La jeune femme ne se fait pas prier, se jette à son cou et frotte ses joues rondes contre les siennes.

« Tu sais ce que j'aime le plus chez toi ? T'es un doudou géant ! » sourit-elle en resserrant son étreinte.

Al roule des yeux, faisant mine d'être agacé. Dès que l'humain est libéré, il commence à s'en aller.

Cammy le prie de l'attendre et revient avec un petit sac rempli de viande, puis ils quittent l'appartement. Al comprend immédiatement.

« Ah... c'est pour la boule de poils, constate-t-il pendant qu'ils descendent les escaliers.

- Je ne te permets pas de l'appeler comme ça, corrige Cammy, les sourcils froncés. C'est mon ami. En plus, les humains et les nigh sont aussi des animaux.

- Bah, t'as qu'à devenir pote avec des cafards, des rats, des moustiques ou des araignées, alors, ironise Al.

- Pourquoi pas. Il y a des araignées trop mignonnes ! En plus, elles capturent les insectes nuisibles. C'est très utile. »

En voyant les étoiles dans le regard de Cammy, Al déglutit, redoutant d'avoir créé un monstre.

Arrivés à la sortie de l'immeuble, leurs yeux croisent deux billes bleues. Un grand chat blanc aux pattes bien dodues s'élance vers eux. Il s'approche de Cammy en ronronnant.

« Te voilà encore aujourd'hui, mon pote ! Décidément, ici c'est devenu ta deuxième maison ! »

Le matou répond en miaulant, avant de se régaler avec la chair du bovin.

Cammy l'a rencontré quelques semaines auparavant, dans une ruelle, alors qu'il était affalé sur le sol, mourant. Du sang coulait de ses oreilles et de son museau. La jeune femme a d'abord cru que l'animal était maltraité et l'a conduit en panique chez un vétérinaire. Mais très étrangement, le professionnel lui a assuré que le chat n'était pas blessé et n'avait aucun problème de santé.

Soulagée, Cammy a quand-même offert un peu de viande au félin pour le réconforter. Celui-ci l'a suivie jusqu'à son immeuble sans qu'elle ne s'en rende compte. Malheureusement, elle n'a pas pu le laisser entrer. Depuis ce jour, il traine régulièrement près du domicile de sa bienfaitrice.

La jeune femme caresse son compagnon pendant qu'il se régale.

« Pourquoi tu ne l'adoptes pas ? demande Al. On dirait qu'il n'a pas de maître et il a l'air de beaucoup te kiffer.

- Bah j'aimerais bien, mais j'ai pas les moyens de m'en occuper. Par contre, quand j'aurai plein d'oseille, on sera inséparables. Pas vrai, mon ami ? »

Le chat émet un miaulement, comme s'il avait compris.

Al leur fait un signe de la main en guise d'au revoir. Cammy répond par un sourire éblouissant et ils se séparent.

***


Au même moment dans le quartier de Flower, un nigh assez grand de taille, barbu et âgé d'une trentaine d'années rentre du travail en passant par une rue déserte. Les joues et le ventre ronds, il passe sa main dans ses courts cheveux noirs qui se fondent dans la pénombre. Soudain, ses pupilles marron remarquent une silhouette se dirigeant vers lui.

Face à lui apparaît un individu très élancé, dans la vingtaine. Sa longue et soyeuse chevelure sombre s'étend jusqu'à son bassin. Des sourcils si parfaits qu'on croirait qu'ils ont été dessinés, des yeux bleus pétillants, un nez fin et des lèvres charnues. S'agirait-il de l'incarnation de la beauté ?

Le ventru le dévisage, méfiant.

« C'est toi, Oggy Kin ? demande le magnifique jeune homme, de sa voix douce.

- Qui ça ? Connait pas », ment Oggy, de plus en plus suspicieux.

Le bel individu glousse avec grâce.

« En voyant ton expression, j'en déduis que c'est bien toi. De plus, la description correspond parfaitement.

- Qu'est-ce que tu me veux, alors ? maugrée le recherché.

- Je m'appelle Steve Pushy... enchanté. Ce cher Jack te trouve laid, mais je ne suis pas de cet avis. Tu es beau.

- Quoi ? s'étonne Oggy.

- Je sais, beaucoup de personnes ont dû se moquer de toi à cause de ton apparence, continue poliment Steve. Mais tu es loin d'être laid. Tout ce gras, ces joues et ce ventre gonflés... et cette petite barbe. Tu as un charme particulier, que tu es le seul à posséder. C'est ce genre de beauté qui me fascine le plus.

Exaspéré, l'homme obèse serre ses poings. Il ne sait pas si son interlocuteur est sincère ou s'il se moque de lui.

« Mais qu'est-ce que tu me veux, à la fin ?!

- Je suis navré, mais comme tu l'as sans doute deviné, mon but est de te capturer, soupire Steve. Cependant, rassure-toi, je t'emmène dans un bel endroit... »

Ses doutes confirmés, le ventru se prépare à se défendre. Le sublime jeune homme s'avance vers lui d'une démarche élégante. Alors qu'Oggy essaie d'attaquer, son corps refuse de lui obéir.

Il tente de bouger ses membres, d'utiliser son pouvoir, mais en vain. C'est comme si son cerveau n'était plus aux commandes. Il grince des dents, de grosses vaines saillantes parcourent son cou, son front, ses muscles.

Lorsque Steve pose délicatement sa main sur la mâchoire de l'homme joufflu, un sourire de satisfaction se lit sur son visage.

« Tu sais, je t'aime bien... Et la chose que j'apprécie le plus chez toi, c'est cette expression d'effroi... c'est magnifique... »

Le cœur d'Oggy bat si fort qu'il résonne dans ses oreilles. Puis, plus rien. D'un seul coup, il perd connaissance.

***


Steve entre discrètement dans un grand immeuble, chargé du corps inerte de sa proie. Après un rapide tour dans l'ascenseur, il toque à une porte. Une voix autoritaire l'invite à entrer.

Il pénètre dans un immense appartement et rencontre un trentenaire très imposant, atteignant pratiquement les deux mètres. Les pupilles de ce dernier, aussi noires que les abysses, fixent Oggy. Ses courts cheveux blancs comme de la neige reflètent parfaitement son regard glacial. L'homme au long nez et au visage fin fait un rictus mauvais.

« Beau travail, dit simplement le chef.

- Merci, lui sourit son subordonné. Encore une victoire éclatante.

- Pas vraiment, c'était une façon de parler. Une victoire décidée à l'avance n'est pas belle, à mon avis. Je sais que tu as toujours 100% de chances de réussir. »

Le subordonné reste joyeux.

« Au moins, ça veut dire que je suis le meilleur ?

- Les autres ont toujours 100% de chances également, dévoile Jack, aussi impassible qu'un automate. C'est juste que tu es celui qui accomplit les missions le plus rapidement, avec une moyenne de quinze minutes par tâche. Mais de mon point de vue, rapidité n'est pas synonyme de puissance, ni de beauté. »

Le sourire de Steve ne s'efface pas pour autant. Il s'exprime avec enthousiasme :

- Ta vision des choses est intéressante. Mais décidément, nous n'aurons jamais la même notion de la beauté. Que ce soit facilement ou dans la douleur, honnêtement ou en trichant, une victoire est toujours sublime. Tant que tu ne comprendras pas ça, tu ne pourras jamais savourer pleinement tes succès. »

Jack hausse ses larges épaules et ne va pas plus loin dans le débat.

« Dépêche-toi de l'enfermer » ordonne le patron, légèrement agacé.

Steve s'exécute. Il se rend au rez-de-chaussée. Au bout d'un couloir se trouve une trappe, dans laquelle il s'engouffre.

Après avoir descendu des escaliers interminables, il arrive au fond d'un sous-sol lugubre, éclairé de lanternes. Le repère secret est parsemé de grandes cages dans lesquelles sont entassées des quinzaines de personnes.

Malgré son aspect sinistre, l'endroit est parfaitement propre. Pas un seul grain de poussière n'est présent sur les carreaux, ni sur les murs blancs en béton. Le toit des cellules étincelantes est décoré de nœuds d'emballages de cadeaux de toutes les couleurs. Chaque visite dans cet endroit offre une béatitude sans pareille à Steve.

Les individus enfermés, des hommes et des femmes, des humains et des nigh de tous âges le dévisagent. Certains, haineux, ne rêvent que de se libérer pour l'étriper. D'autres, résignés, se laissent terrasser par le désespoir.

Steve jette Oggy dans une cage vide, qu'il verrouille aussitôt.

« Bienvenue dans la prison somptueuse », jubile-t-il.

Après être remonté à la surface, il rejoint Jack et ils prennent leur dîner ensemble. Le chef a un plat végétarien, tandis que le subordonné ne se nourrit que de viande grillée.

« Alors, as-tu une piste concernant ces chers habitants qui ont rasé Disease ?

- Pas encore, patience. Ça ne devrait plus tarder, affirme le patron.

- Ah oui ? Et dans combien de temps ? défie Steve, taquin.

- J'ai neuf chances sur dix de les trouver dans les trois prochains jours. »

Les deux compagnons s'échangent un sourire malfaisant.

« Tant mieux. J'ai hâte de les inviter dans la prison somptueuse... » minaude Steve.

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