Chapitre 95 : Une machine

Grâce à sa tactique, Agiel parvint à vaincre Cody. Toutefois, elle se rendit compte qu'il ne s'agissait que d'un clone. Elle fonça à la recherche de Daisy, qui était sans doute la cible du jeune homme.

***

Cody Fear aspirait à une vie normale. Depuis l'enfance, il était très sociable et s'était fait de nombreux camarades. Son meilleur ami était Bob, qu'il connaissait depuis qu'ils avaient six ans. Ils étaient devenus comme des frères et passaient la plupart de leur temps ensemble.

Néanmoins, tout bascula. Quand il avait dix-sept ans, Cody vit son chien se faire écraser par une voiture. Il aimait tellement son fidèle compagnon que sa mort provoqua un choc, et il éveilla ses pouvoirs.

Son deuil passé, le garçon informa Bob de ce changement et des capacités qu'il avait découvertes. La conversation effraya beaucoup Cody. Son ami le prévint que les pouvoirs étaient forcément accompagnés d'une malédiction qui se déclencherait bien vite.

Cody espérait de tout cœur que ce phénomène surnaturel ne gâcherait pas sa vie.

Un jour, le nigh rendit visite à son meilleur ami. Bob était absent, et c'est sa petite sœur, Julie, qui lui ouvrit la porte. La fillette et Cody s'entendaient très bien, et il la considérait elle aussi comme un membre de sa famille.

Après de chaleureuses salutations dans le couloir, Cody caressa comme à son habitude les cheveux de Julie. Brusquement, il vit sa paume effacer une bonne partie de la tête de la pauvre fille.

Le crâne ouvert, elle mourut sur le coup dans une effroyable expression d'agonie. Dans l'incompréhension totale, le garçon fixa sa main, couverte du sang de sa sœur spirituelle. Il haletait, les larmes ne cessaient de couler. Il commença à s'arracher les cheveux, aussi dévasté que paniqué.

Qu'aurait dit la mère de Julie, si elle voyait ça ?

Il prit la lâche décision de s'enfuir, avant d'être aperçu par qui que ce soit. C'est alors qu'il se rendit compte de la nature de sa malédiction : tout être vivant qu'il touchait se faisait effacer.

Les jours passèrent. Tout l'entourage de la petite fille était sous le choc, à la recherche du coupable. Bob et ses parents étaient détruits de l'intérieur.

Le visage de Cody avait perdu tout éclat et il passait ses journées chez lui à déprimer. Bob vint le voir à son domicile.

Lorsqu'il lui ouvrit la porte, après de courtes salutations, Cody déposa sans faire exprès sa main sur l'épaule de son meilleur ami. La partie touchée se fit effacer. Stupéfait, Bob grimaça de douleur et regarda sa plaie profonde.

Hagard, Bob fixait Cody, qui était pétrifié de peur. Le grand frère de Julie ne tarda pas à comprendre, après avoir minutieusement analysé sa blessure.

Bob regarda furieusement son ami.

« C'était toi... n'est-ce pas... ?

- Non... je... »

La contestation de Cody fit monter d'un cran sa fureur, se transformant en rage :

« Ne me prends pas pour un con ! La blessure sur le crâne de Julie ressemblait à une paume et des doigts, comme si quelqu'un avait simplement déposé sa main sur sa tête ! Tu vas nier que tu viens de me faire pareil, là ?! »

Cody en restait sans voix. Mentir n'aurait servi qu'à envenimer la situation. Il était temps qu'il assume ses responsabilités. Il baissa les yeux, aussi penaud que peiné, et balbutia :

« Bob... je suis désolé...

- Et alors ?! Tu crois que ça va arranger quelque chose ?! »

Cody releva ses yeux, pour croiser le regard courroucé du grand frère.

« T'es vraiment un enfoiré... Et en plus, tu oses me mentir ?! » vociféra l'endeuillé.

Envahi par le remord, le meurtrier lança sans réfléchir :

« S'il te plaît, pardonne-moi ! Je... je peux la ressusciter en la clonant ! »

Sa proposition n'eut pas l'effet escompté. La furie de son ami se décupla.

« T'es con ou quoi ?! hurla Bob. Respecte la vie de ma sœur ! T'as cru qu'un simple clone contrôlé comme une marionnette pouvait la remplacer ?! »

Le frère de la victime ne pouvait plus se retenir. Il colla une droite féroce à Cody, qui se retrouva propulsé à l'autre bout du couloir. Bob lui adressa un dernier regard empli de haine à l'état pur, avant de s'en aller.

Leur amitié ne survécut pas à cet incident. Que le crime eût été intentionnel ou pas, Bob dénonça Cody à la brigade afin qu'il se fasse liquider.

Les seuls dont le fugitif avait le soutien étaient ses parents. Cody usa de son pouvoir pour changer de visage et de nouveau prendre la fuite. Il disparut dans la nature pendant presque en an.

***

Lorsqu'il retourna chez ses parents avec son nouveau visage, Cody aurait pu commencer une nouvelle vie. Cependant, il sombra et prit la résolution de ne plus créer de liens avec qui que ce soit.

Il avait peur de blesser les autres, voire les assassiner sans faire exprès, ou peur qu'ils le rejettent à cause de sa malédiction.

Il refusait également de travailler. Il ne voulait être en compagnie de personne, sauf ses parents. Parfois, il déambulait dans les rues les moins fréquentées sans but précis, seulement pour prendre l'air. N'ayant rien à faire, il s'entraînait souvent au combat, juste au cas où.

Ses parents le supplièrent un nombre incalculable de fois de faire quelque chose de sa vie. Il ne devait pas rester un parasite pour toujours. Il ne les écoutait pas. Ils finirent par désespérer et le laisser faire ce qu'il voulait.

***

À vingt-deux ans, Cody entendit lors d'une promenade, des passants indiscrets qui parlaient d'une rumeur intéressante.

Après avoir mené son enquête, il trouva quelqu'un qui pourrait le faire sortir de son quotidien monotone et mettre un terme aux inquiétudes de ses parents.

Cody se rendit dans une ruelle étroite et très peu éclairée. Les informations étaient justes : il y trouva un blond aux yeux fermés. Le cœur empli d'espoir, il s'approcha du surnommé Skill.

Les jeunes hommes se firent face. Le coin resta silencieux un bon moment. Cody n'avait pas réfléchi à la formulation de sa demande et ne savait pas comment l'aborder de la bonne manière.

« Que veux-tu ? » demanda calmement Skill.

Cody avala difficilement sa salive. Il était intimidé par l'aura que le blond dégageait, malgré son air serein.

Les mots sortirent finalement de sa bouche :

« Tu as une équipe de tueurs à gages, n'est-ce pas ? Est-ce qu'il y a moyen que j'en fasse partie ?

- Pourquoi voudrais-tu travailler pour moi ? demanda le chef. Tu n'as qu'une seule chance. Je ne me répèterai pas.

- Une seule quoi ?! » s'étrangla l'aspirant.

Skill ne répondit pas.

Cody comprit que son avenir dépendrait de sa réponse à cette question basique. Il était tenté de répondre « pour l'argent » afin de plaisanter, mais c'était évident que s'il disait ça, il pourrait mettre une croix sur sa demande.

Toutefois, Cody n'eut pas besoin de réfléchir. La raison pour laquelle il souhaitait travailler pour Skill était plus qu'évidente. D'un air sérieux, il répondit sans hésiter :

« À cause de ma malédiction, j'efface toutes les personnes que je touche. Quelqu'un comme moi ne peut pas vivre en société. Je sais, il suffit que je fasse attention, mais ce n'est pas aussi simple. Il suffit que j'effleure quelqu'un, le bouscule sans faire exprès, pour le blesser. Mes parents peuvent bien témoigner combien de fois ils se sont retrouvés avec des plaies béantes à cause de moi. Entre nigh, je n'ai pas besoin de te cacher quoi que ce soit. Alors, rassure-toi, je ne m'approcherai pas de tes subordonnés. Je me tiendrai toujours à deux mètres de toi. En bref, je veux faire de mal à aucun civil. En bossant pour toi, je pourrai utiliser ma malédiction pour éliminer les gens qui le méritent. Dis-moi qui je dois supprimer, et je le ferai sans discuter. »

Skill réalisa à qui il avait affaire. Un homme désespéré, prêt à suivre aveuglément qui voudrait bien de lui.

« Alors... tu obéiras à tous mes ordres sans réfléchir ? demanda le chef, circonspect.

- Absolument tout. »

L'air fortement déterminé de Cody ne lui laissait plus aucun doute. Le blond avait en face de lui une machine à tuer sur commande.

« Très bien, montre-moi donc ce que tu sais faire », lança sévèrement le chef.

Suite à un court combat, Skill décida de l'engager pour une période d'essai.

***

Après que Cody soit devenu un membre officiel, Skill réunit toute son équipe chez lui autour d'un déjeuner, afin de faire les présentations.

« Je m'appelle Cody Fear, j'ai vingt-deux ans, et je pense que c'est tout ce que vous avez besoin de savoir sur moi » balança-t-il sèchement.

Annie lui tendit sa main en souriant. Cody, gêné, se gratta la nuque et lâcha :

« Désolé... je ne peux pas... »

Tous le fusillèrent d'un regard ébahi et un peu outré, sauf Simeon. Le nouveau membre se dépêcha de se rattraper :

« C'est pas ce que vous pensez. C'est ma malédiction. J'efface tous les gens que je touche... »

Les regards se firent moins accusateurs, mais il attira la curiosité de ses collègues.

« Donc, tu es invincible, en fait ? interrogea Trash.

- Pas vraiment. Quelqu'un peut bien me toucher, si c'est contre ma volonté, expliqua Cody.

- Ah ok, comme quand on te punch, quoi ? » continua le garçon.

Cody s'apprêtait à confirmer, quand Skill se racla la gorge, signe qu'il commençait à en dire trop sur ses capacités.

Les autres se présentèrent brièvement.

« Fear, c'est un nom badass, ça, complimenta Alex, debout comme à son habitude.

- Mouais... » souffla le concerné, indifférent.

La tentative de sympathiser d'Alex tomba à l'eau. Un silence de mort régnait dans la pièce. Ils se dévisageaient tous sans trouver quoi dire.

« Et sinon, c'est quoi ton plat préféré ? essaya joyeusement Sonya.

- Je ne mange que de la viande crue », grommela Cody.

L'atmosphère ne se détendit pas.

***

Cody faisait tout pour ne pas s'approcher de ses collègues. Il était tout le temps grognon. Avec sa partenaire, Sonya, il n'avait qu'un seul mot à la bouche : « mission. »

Grâce à ses quelques mois de paie, il s'empressa de déménager. Ses parents étaient soulagés de savoir qu'il faisait enfin quelque chose de sa vie, même si ce n'était pas un travail des plus nobles.

Un jour, il entendit quelqu'un sonner à sa porte. Surpris, il alla ouvrir. C'était Sonya, un sac à la main.

« Salut ! Comment tu vas ? Waw, c'est vachement grand, ici ! chantonna-t-elle.

- Qu'est-ce que tu veux ? D'ailleurs, comment tu as trouvé où j'habite ?! maugréa-t-il.

- Bah j'ai simplement demandé à Skill. Même si je t'avoue que je me suis un peu perdue en route... »

Elle rigola, avant de demander si elle pouvait entrer.

« Non, dégage, microbe, l'agresse-t-il. Pourquoi tu me colles autant ?!

- Bah parce qu'on est partenaires ! Et j'aime bien m'entendre avec les gens. »

Cody eut un rictus moqueur à l'entente de ses paroles naïves.

« Ah oui ? Pourtant, tu n'es pote ni avec Daisy, ni avec Simeon.

- Skill m'a dit de faire attention à Daisy, elle ment beaucoup. Et je ne peux pas être amie avec quelqu'un en qui je ne fais pas confiance. Et Simeon, je ne compte plus le nombre de fois où j'ai essayé de sympathiser avec lui, mais y a rien à faire. On dirait qu'il est constipé. Mais toi, c'est différent. Je ne risque pas de te lâcher facilement ! » fredonna-t-elle en lui balançant un clin d'œil.

Cody soupira, agacé.

« Tu connais ma malédiction, non ? Je risque de te tuer, ou au mieux de te blesser sans faire exprès. Alors, laisse-moi tranquille, microbe.

- On a fait plusieurs missions ensemble, pourtant, tu ne m'as pas touchée une seule fois. Je sais me défendre, tu ne me feras pas de mal aussi facilement, affirme-t-elle, déterminée.

- Dit celle qui est tout le temps dans la lune... se moque-t-il.

- Il y a deux choses avec lesquelles je ne plaisante pas : mon assiette, et ma sécurité. »

Cody eut une idée diabolique pour lui prouver à quel point elle avait tort. Il l'invita à entrer. Il se positionna derrière elle afin qu'elle ne voie pas venir l'attaque.

Il tenta de déposer sa main sur l'épaule de Sonya. Elle esquiva sans problème. Il fit ensuite mine de trébucher pour essayer de s'agripper à sa taille. Elle se décala très vite et le laissa s'écrouler lourdement, la tête la première.

« Je... je suis désolé... j'ai pas fait exprès... bafouilla-t-il, embarrassé.

- Pas grave, ça arrive ! Rien de cassé ? » chantonna-t-elle.

Il la dévisagea, étonné. Elle ne lui en voulait absolument pas, alors qu'il avait failli l'éventrer.

« Au fait, tiens ! Tu aimes la viande crue, non ? » dit-elle en lui tendant le sac.

Soudain, Cody vit des ailes blanches se dessiner dans le dos de Sonya. Aucun doute possible, il était face à un ange.

Il accepta le présent, gêné pour son attitude exécrable.

« Merci... microbe.... Au fait, tu as quelque chose de prévu, demain ? On pourrait... sortir ensemble... »

Elle eut les yeux ronds, prise de court.

« Waw, dis donc, tu vas vite en besogne !

- C'est pas ce que tu crois, rectifia-t-il, rouge comme une tomate. Je veux dire... sortir pour se voir simplement, rien d'autre !

- Ah, d'accord. Donc tu veux qu'on soit amis ?

- Non !! » s'écria Cody, la faisant sursauter.

Plus que des amis.

Il se gratta la tempe, mal à l'aise.

« Je ne suis pas ami avec les demi-portions. On est partenaires, il faut qu'on s'entende bien... c'est tout.

- Ah, ok... c'est compris ! » fredonna-t-elle.

Le lendemain, ils passèrent la journée à manger. Invitée par Cody, Sonya vida le réfrigérateur du jeune homme. Il obtint cependant sa vengeance : elle fut prise d'une grosse diarrhée.

Grâce à elle, Cody s'ouvrit un peu plus aux autres, même à Daisy, injustement mise à l'écart.

***

Plus Cody passait du temps avec Sonya, plus ce qu'il ressentait pour elle était indéniable. C'était ce qu'il craignait le plus. Il voulait refouler ses sentiments, mais c'était impossible de lutter. Cependant, il ne pouvait se permettre de lui avouer quoi que ce soit.

Comment être en couple avec une personne, sans qu'il n'y ait le moindre contact physique ?

Quelques jours après la trahison de Daisy, Trash et Annie, les deux compagnons partageaient leur déjeuner chez Sonya.

Il la regardait avec insistance. Même la bouche pleine et les lèvres couvertes de petits morceaux de poulet, elle était sublime à ses yeux.

« Mon concept est celui de la constitution » balança-t-il subitement.

La jeune femme papillonna des yeux, déconcertée. Il poursuivit très sérieusement son monologue :

« Je peux trafiquer les cellules des êtres vivants et la composition des objets. Et grâce à mon ADN, que ce soient un cheveu ou tout ce que tu veux, je peux créer des clones de moi-même. »

Sonya avala d'abord sa bouchée de poulet grillé. Elle demanda, intriguée :

« Alors, personne ne peut te vaincre, si tu peux modifier les cellules des gens comme tu veux !!

- Ce n'est pas aussi simple. Ma malédiction fait que je suis obligé de toucher directement un être vivant dont je veux modifier la constitution, précisément, la partie que je veux trafiquer. Le problème, c'est que dès que j'entre en contact avec quelqu'un, je détruis les cellules de l'endroit atteint. Et donc, ce même endroit n'existe plus.

- Donc, en gros, à part effacer les gens, tu ne peux pas utiliser ton pouvoir sur d'autres personnes que toi-même ! déduisit-elle.

- En gros, ouais.

- Et bah, c'est une lourde contrainte, dis-donc... se désola-t-elle.

- Qu'est-ce que tu veux, microbe ? Un grand pouvoir implique de grandes faiblesses... » soupira-t-il.

Bien que tout ceci fût intéressant pour elle, Sonya était décontenancée par ces soudaines révélations.

« Pourquoi tu me dis tout ça, maintenant ? Skill nous a interdit de dévoiler nos pouvoirs aux autres...

- Il m'a autorisé à le faire, parce que même si on n'est pas amis... tu es ma partenaire. On est censés se faire confiance... »

Cody repensa à ce que Skill lui avait dit le jour de leur rencontre :

« Cody, tu es un nigh, un individu comme les autres, pas une machine. N'exécute pas tous mes ordres sans réfléchir. Tu as le droit d'avoir ton propre jugement. Et si tu veux contester une de mes décisions, n'hésite pas à m'en parler. »

Touchée par son geste, Sonya sourit de toutes ses dents, entre lesquelles étaient coincés des morceaux de viande. Mais c'était un sourire si beau pour Cody qu'il illumina sa journée.

« C'est très sympa de ta part ! S'il n'y avait pas ta malédiction, je t'aurais roulé une pelle tout de suite ! » chantonna-t-elle.

Cody rougit, désarçonné.

« Qu'est-ce que tu racontes ?! s'exclama-t-il.

- Je rigole, rigole ! »

Sonya éclata d'un rire jaune, suivie par Cody qui se forçait également.

***

Cody arpente les rues du quartier désert, à la recherche de Daisy.

« Skill... Sonya... grâce à vous, j'ai arrêté de vivre comme une simple machine à tuer. Je ferais absolument tout pour vous. »

Pour cela, il doit d'abord éliminer la personne qui le gêne le plus.

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