Chapitre 62 : Mots

Suite à leur combat, Cammy ne parvint pas à arrêter Trash et Annie. À bout de force, elle perdit connaissance.

***


Cammy reprend conscience. Dès qu'elle retrouve ses esprits, elle remarque Trash et Annie qui la regardent, un sourire malicieux au visage. Ses membres sont solidement attachés grâce à des cordes chargées de Drive.

Mais étrangement, elle constate que ses blessures sont guéries, tandis que Trash a toujours des bandages sur le visage, l'œil crevé et le bras sectionné.

Ils se trouvent dans une chambre exigüe et désordonnée. Le lit est mal fait, les armoires sont à peine fermées. Les vêtements sales, des mouchoirs usés, cartons de pizza et des bouteilles de bière traînent çà et là. Des traces de nourriture tâchent le sol et le matelas.

Une pensée traverse immédiatement l'esprit de la jeune femme. Elle ignore où ils sont, mais les adolescents ont sûrement laissé une pile de cadavres dans la rue.

« Vous... combien de gens vous avez démolies en route ?! s'exclame-t-elle, horrifiée.

— Je vois que tu as toujours foi en ces individus... soupire-t-il. Tu n'as pas encore conscience d'à quel point ce monde est absurde.... On n'a tué personne, tu es contente ? »

Cammy se rend compte que lui aussi était sans doute épuisé par leur affrontement et n'avait pas assez d'énergie pour éradiquer des individus en masse. Elle lâche un ouf de soulagement, ce qui irrite Trash et Annie.

« Ne te méprends pas. Tu crois qu'ils en ont pour longtemps ? » renchérit-il.

Cammy se renfrogne. Malgré le fait qu'elle les défie du regard, Trash et Annie ne sont nullement inquiétés. Le garçon continue :

« Tu saignais des oreilles, tout à l'heure. Tu sais que moi aussi je suis fatigué, mais j'ai plus de jus que toi. Tu penses réellement pouvoir faire le poids dans ton état ? »

Cammy a toujours les sourcils froncés. Elle ne se laisse pas intimider et est toujours motivée à leur barrer la route. Néanmoins, elle a conscience qu'il a raison et qu'elle n'a pratiquement aucune chance. Et si elle perd une nouvelle fois, c'est sûr, ils l'assassineront. D'ailleurs, cette réflexion lui fait poser une autre question :

« Pourquoi vous ne m'avez pas zigouillée ? s'étonne-t-elle.

— Annie a insisté pour ne pas que je t'achève. Tu ne t'y attendais pas, hein ? » affirme Trash.

L'adolescente fait un signe, mimant de taper un clavier d'ordinateur. Trash fait un rictus pervers et commente :

« On a une surprise pour toi. Ne bouge pas, ok ? »

Un sourire mauvais au visage, les deux adolescents quittent la pièce et reviennent très rapidement en traînant un jeune homme sur le carreau. Ce dernier semble avoir dans la vingtaine. Bras et jambes liés, il tremble d'effroi.

« Je... s'il te plaît, aide-moi... » supplie-t-il.

Le regard méprisant, Annie pose une main sur sa bouche, puis fait un signe d'égorgement.

« Tais-toi, ou on te tue tout de suite, c'est clair ?! » gronde Trash, qui a la même expression que la jeune fille.

Le propriétaire des lieux s'exécute, une petite larme aux yeux et frémissant. Révoltée par ce comportement, Cammy rugit :

« Vous êtes complètement malades, arrêtez ça !! »

Trash et Annie gloussent, ce qui insupporte la jeune femme. Le garçon continue, moqueur :

« Peut-être que tu ne le défendrais pas si tu savais qui c'est ?

— Comment ça ? De quoi tu parles ? demande Cammy, confuse.

— Eh bien, tu ne reconnais pas ton cher harceleur ? » révèle-t-il.

L'accusé est tétanisé. Il jette un coup d'oeil en direction de Cammy, appréhendant sa réaction. Cette dernière est déboussolée, circonspecte.

« Que... quoi ? Comment tu sais que c'est lui ? balbutie-t-elle, dubitative.

— Tu poses la question à un informaticien, alors que c'est un jeu d'enfant pour moi de localiser la provenance des commentaires ? » répond Trash, ne laissant aucune place au doute.

Cammy est fortement troublée. Il y a quelques heures de cela, elle n'aurait même pas imaginé être en face de l'individu qui l'a blessée pendant tout ce temps. L'harceleur sue à grosses gouttes.

« Laissez-moi deviner, lâche la jeune femme. Vous allez me demander de transformer ses boyaux en soupe pour nigh, c'est ça ? »

Annie lève ses bras en signe d'innocence. Trash efface le sourire malfaisant sur son visage et arbore la même expression que sa copine, puis ajoute :

« Qui ? Nous ? Nonnnnn... Qu'est-ce qui te fait dire ça ? »

Cammy plisse ses yeux, agacée. Ils jouent très mal la comédie...

Le garçon continue :

« Ce que tu vas faire, ça ne dépend que de toi. Nous, on veut juste que tu apprennes la vérité. Pas vrai, Annie ? »

La concernée hoche de la tête.

« La vérité ? Quelle vérité ? dit-elle, désorientée.

— Tu pensais que ce mec t'harcelait juste parce qu'il n'aimait pas ton histoire, n'est-ce pas ? amorce-t-il.

— Ben... oui... »

Trash éclate de rire.

À gorge déployée...

Pendant une quinzaine de secondes...

Annie lui fait une tape dans le dos, l'invitant à se ressaisir. Le garçon arrête ses ricanements et essuie une petite larme, toujours amusé.

« Je savais que tu étais naïve, mais ça va loin, là... Tu n'as rien compris. Et si tu réessayais ?

— Tu crois que j'ai envie de jouer aux devinettes, espèce de crotte ?! s'énerve Cammy.

— Ok, ok, dit-il, reprenant son sérieux. Annie et moi, on lui a mis la pression pour avoir des réponses. Il a avoué avoir fait tout ça par vengeance. Tu entends ça ?

— Ven... vengeance ? répète-t-elle Je lui ai donc fait quelque chose de mal ?

— Ça, c'est ce qu'on va voir » termine l'adolescent.

Cammy est de plus en plus décontenancée. Annie sort un téléphone de sa poche, sans doute celui du harceleur, et le tend au garçon.

« Je vais te rafraîchir la mémoire, commence-t-il. Il y a environ un an, ce type et toi, vous vous êtes échangé quelques messages. Et si on les consultait ? »

Annie et Trash retrouvent leur rictus malsain, sous le regard terrifié de l'accusé. Le garçon se met à lire machinalement leur conversation :

« Il t'a contactée en premier : Salut, Cammy ! J'aime bien ton histoire. Moi aussi, j'en écris une. Est-ce que tu pourrais la lire et donner ton avis ?

Tu as répondu, la même minute : Hey ! Merci, mon gars ! Et... hum, désolée, j'aime pas trop lire. Je sais pas si mon avis te sera utile...

Il a répondu : Pas grave, je t'assure !

Tu as répondu : Bon bah, c'est d'accord ! Mais il faut savoir que ça sera subjectif et très franc !

Il a répondu : Oui, pas de souci, je veux un avis honnête ! »

L'harceleur, consterné, croise le regard de Cammy. Nul ne peut nier la véracité de ces messages, ils s'en souviennent parfaitement. Le visage de la jeune femme s'assombrit, la suite de l'histoire se dessine automatiquement dans son esprit.

Voyant l'expression brumeuse de la jeune femme, Annie et Trash lâchent un rictus victorieux. Ils ont déjà gagné. Le garçon reprend, de sa voix monotone :

« Quelques jours plus tard, tu as répondu : Hello ! J'espère que tu vas bien ! J'ai lu tes quarante-six chapitres. Comme tu le sais, je n'aime pas trop lire, alors, peut-être que ça m'a moins fait apprécier ton récit. Une autre personne te donnera probablement un retour plus positif ! J'espère quand-même que ça t'aidera ! »

Il se tait, laissant la salle dans le silence le plus complet. Le regard de Cammy se noircit progressivement. Le sol se mouille au fur et à mesure que la sueur de l'accusé dégouline de son front.

Trash ne fait pas plus durer le suspense et continue la lecture du message :

« Ton livre part sur une bonne idée, mais honnêtement, je n'ai pas accroché à ton histoire. Les péripéties sont prévisibles et se résolvent trop facilement. Du coup, même quand il y a des enjeux importants, on n'y croit pas. Moi, en tout cas, j'y ai pas cru... Essaie de rendre ton récit plus surprenant, rendre les dangers plus crédibles et donner moins de chance à tes personnages ! Parce que là, les aventures de tes héros ne sont pas palpitantes. J'ai noté tous les passages qui m'ont fait tiquer dans le doc que je t'envoie tout de suite. Voilà, c'est tout ! Bon courage pour la suite ! »

Trash lance un regard subtil en direction de Cammy. L'expression de cette dernière le satisfait. Annie lui fait le signe d'une arme tranchante. Le garçon n'hésite donc pas à remuer le couteau dans la plaie :

« Apparemment, il a mal pris ta critique. Son histoire est celle qui a le moins de lectures sur le site, pourtant, ses premiers chapitres ont pas mal de vus. Au lieu de se remettre en question, il a préféré se venger sur toi. Non, ce n'est pas seulement de la vengeance... mais également de la jalousie. Parce qu'il sait que malgré l'aspect brouillon de tes textes, il n'aura jamais autant de talent que toi. Tu as simplement voulu l'aider sans rien demander en retour et c'est comme ça qu'il te remercie ? »

Cammy fixe intensément son bourreau, le regard bouillonnant de colère. La fatigue, le stress, la fureur, la dépression, la déception... toutes ces sensations et émotions fusent en elle. Tout son être est en effervescence. La bombe explose.

« Je regrette... Pardonne-moi... s'il te plaît, pardonne-m... tente de bredouiller le fautif.

— Ta gueule !!!! Tu te rends compte du nombre de fois où j'ai passé des nuits blanches à ressasser ce que tu m'écrivais ? Tu sais à quel point ce que tu m'envoyais me faisait du mal ? Oui, tu es parfaitement au courant. Tu m'as intentionnellement blessée, et moi, je suis censée te sauver... ?! Crevez-moi cet enfoiré !!! » hurle-t-elle jusqu'à s'égosiller.

Tout déborde. Les larmes du harceleur qui coulent à flots. Le regard ténébreux de Cammy...

Trash jouit.

De son sourire le plus glauque, il fête son triomphe :

« Alors, toi aussi... tu as perdu foi en eux... ? »

Il saisit la tête du jeune homme. Sans la moindre pitié, il broie son crâne. Une déflagration extrême se produit.

Ce ne sont plus seulement les larmes et la sueur qui coulent sur le sol. Le liquide rouge s'y ajoute, se mélange aux restes de nourriture, produisant une mixture salissante qui donne la nausée à Cammy.

Cette dernière, dévastée, ne peut que constater le fruit de ses actes. Telle une pierre, la parole est déjà lancée, impossible à rattraper.

Elle ne pourra plus jamais laver cette souillure sur son âme.

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