Chapitre 61 : Menaces

Depuis sa tendre enfance, Trash était maltraité par son père. Il fit la rencontre d'Annie au collège et se lia d'amitié avec elle, ce qui lui avait permis de tenir. Cependant, plus le temps passait, plus il avait de mal à supporter le traitement qu'on lui infligeait. De plus, il soupçonnait l'adolescente de subir la même chose. Quand il avait treize ans, la jeune fille lui présenta un livre particulier.

***

Trash ne regretta pas d'avoir lu ce roman. En seulement trois jours, il avait dévoré les cent quarante-sept chapitres disponibles et attendait la suite avec impatience. Mais si une chose l'avait particulièrement marqué dans cette histoire, c'était l'héroïne, à laquelle il s'était identifié.

Comme lui, elle était maltraitée par ses parents. Elle aussi, subissait toutes sortes de tourments, alors qu'elle n'avait jamais rien fait de mal. Pourtant, elle ne se laissait pas faire. Grâce à sa volonté, elle surmontait toutes les difficultés. Trash avait saisi le message de ce roman : il faut toujours continuer à aller de l'avant et se battre.

Un soir, son père s'était de nouveau défoulé sur lui. Le dos saignant, il n'alla cependant pas dans sa chambre, se blottir contre sa couette en tremblant.

Cette fois, il était parti dans la salle de bain. Il faisait face à la glace. Il ne frémissait pas. Il avait les sourcils froncés. Le regard déterminé. Il se parla à lui-même à travers son reflet :

« Dis-moi... pendant combien de temps ça va durer ? Dis-moi... qui est-ce que tu préfères être... ? Ce pauvre garçon qui restera victime toute sa vie... Ou est-ce que tu veux être comme elle... ? »

Trash grinça des dents. Il ferma et serra ses poings. Le regard ardent, il se murmura à lui-même :

« Alors, tu dois aller de l'avant... Bats-toi... Bats-toi... BATS-TOI... ! »

Le lendemain matin, Trash fit semblant d'aller au collège. Ce jour-là, il décida de fuguer. Son objectif était de maîtriser le Drive pour se libérer du joug de son père.

« Attends-moi, Annie... je reviendrai bientôt... te sortir de là, toi aussi... » se promit-il.

Déambulant dans les rues, il était obligé de voler pour se nourrir. Il se réfugiait dans un bâtiment abandonné où il s'entraînait. Fan de boxe, il s'exerçait à imiter les coups qu'il voyait à la télévision et dans les magazines.

En seulement deux semaines, il avait éveillé son Drive. C'est à ce moment-là qu'il s'était rendu compte que le plus dur l'attendait. Les premières utilisations étaient un supplice invivable. Comme la plupart des adeptes, il perdait chaque fois connaissance à ses débuts, tant il était exténué. Il côtoyait tous les jours la mort.

Malgré le calvaire épouvantable, l'idée d'arrêter l'entraînement ne lui effleurait même pas l'esprit. Gisant sur le sol, incapable de bouger la moindre articulation, dégoulinant de sueur, saignant des yeux, de la bouche, du nez, des oreilles... il puisait dans son courage et sa volonté inébranlables pour poursuivre sa route.

En deux mois d'entraînement, il fut capable de démolir littéralement à mains nues son lieu de refuge, un bâtiment à trois étages.

Il décida finalement de rentrer chez lui. Ce soir-là, Trash était épuisé. Il avait les vêtements sales et déchirés. Lorsqu'il traversa la porte du salon, son père l'attendait, le regard noir.

« Après avoir disparu pendant deux mois, tu oses remettre les pieds chez moi ?! » hurla le géniteur.

Trash ne répondit pas. Las, il bailla et s'apprêta à partir pour la salle de bain. Il ne rêvait que de dormir dans un lit bien chaud. Le comportement du garçon fit monter le courroux de son père, qui passa à un autre niveau. Il se dirigea vers l'adolescent, avant de le gifler sans retenue.

« Sors de chez moi, bon à rie... ! »

Néanmoins, le père fut surpris de constater que malgré toute la force qu'il avait mise dans son coup, l'adolescent ne bougea même pas. Il fronça les sourcils, dérouté. Trash le regarda d'un air ennuyé.

L'adulte tenta une nouvelle gifle, mais sans effet, à nouveau. Trash ne lui porta pas la moindre attention et alla se doucher, puis se coucher.

Le père était effaré par la transformation de son fils. Terriblement inquiet, il ne parvint pas à trouver le sommeil.

Le lendemain matin, Trash et son géniteur se retrouvèrent au salon. L'adulte ne disait rien. Il était tétanisé devant le regard haineux de son fils. Car, après avoir profité d'une bonne nuit de sommeil pour recharger ses batteries, l'adolescent était prêt à accomplir sa vengeance.

« N... non... attends, je suis ton pèr... »

Trash n'en avait que faire de ses supplications. Toute la rage qu'il avait emmagasinée pendant ces nombreuses années explosa. Sans hésiter, le garçon se jeta sur son père et lui rendit tous ses coups. Lorsque le carnage était terminé, voyant l'être qui lui avait donné la vie, tremper dans son propre sang, l'adolescent laissa échapper un sourire de jouissance. Cela lui avait fait du bien.

Malgré tout, Trash s'était retenu. La vie de son père n'était pas menacée. Il avait fini à l'hôpital avec de nombreuses fractures et blessures superficielles. Cela avait laissé des séquelles à l'adulte. À son tour, il n'avait pas eu le courage de dénoncer son fils.

***

Le même soir, Trash attendait Annie dans la rue qu'elle avait l'habitude d'emprunter pour rentrer chez elle. Lorsque cette dernière l'aperçut, elle écarquilla ses yeux.

Sans lui, pendant tout ce temps, elle se sentait horriblement seule. Elle était tellement heureuse de le revoir qu'elle resta statufiée pendant une quinzaine de secondes. Elle courut ensuite vers lui et se jeta dans ses bras. Elle le serra de toutes ses forces. Ils restèrent l'un contre l'autre pendant un moment, sans échanger de paroles.

« ... Tu m'as manqué... » murmura-t-elle finalement.

Elle se détacha de lui et ils s'échangèrent un sourire. Pendant ce court instant, ils étaient heureux.

Quand soudain, une main agressive attrapa les cheveux de la jeune fille.

« Annie, rentre à la maison, tout de suite !! » gronda un homme.

L'adolescente n'osa pas répondre. Elle lança un regard triste à son ami, et sans un mot, fut contrainte de suivre l'individu qui la traînait de force par le poignet.

Lorsqu'elle rentra chez elle, l'homme lui cria dessus :

« Je peux savoir ce qui se passe dans ta tête, petite sotte ?! »

La mère d'Annie entra dans le salon en trombe. Elle demanda, confuse :

« Qu'est-ce qui se passe, chéri ?

— Annie traîne avec un garçon !! » s'écria son petit ami.

La mère d'Annie passa sa main devant sa bouche en signe d'indignation. Elle lui lança ensuite un regard fortement contrarié. Le futur beau-père de l'adolescente continua, rugissant :

« Combien de fois faut-il te dire que tu dois être la meilleure, en toutes circonstances ?! Tu dois rester concentrée sur tes études, et toi, tu sors avec un garçon ? Tu veux ruiner ton avenir ?!

— C'est juste un ami... »

Annie n'eut pas le temps de terminer sa phrase, qu'elle se fit interrompre par une gifle.

« C'est la dernière fois que tu me réponds, est-ce que c'est clair ?! » aboya l'homme.

Annie posa sa main sur sa joue rougie. Les larmes commencèrent à s'échapper.

« Annie, je t'ai déjà dit que se justifier est un manque de politesse, n'est-ce pas ? réprimanda sévèrement sa mère. Tu as été surprise sur les faits, pourquoi cherches-tu à le nier ?

— Retourne-toi ! » ordonna le petit ami de sa mère.

Sans dire mot, la jeune fille s'exécuta. La pièce était d'un silence glaçant. Seuls les sanglots de l'adolescente opprimée se faisaient entendre.

L'homme leva sa main massive pour l'abattre sur le dos d'Annie. Cette dernière ferma les yeux. Elle savait ce qui l'attendait. Crier, ou même gémir, n'aurait fait qu'empirer sa punition. Elle s'apprêta à tout encaisser, en silence.

Soudain, le futur beau-père de la fille fut interrompu par un bruit strident. Quelqu'un venait de fracasser la porte d'entrée du couloir. Très rapidement, l'individu entra dans le salon.

Annie eut les yeux exorbités. Son visage s'illumina en apercevant Trash. Lorsqu'il constata l'état de son amie, le garçon ne se posa pas de questions. Il voyait rouge. Il fonça sur le bourreau, pris au dépourvu, et l'assomma en un seul coup.

La mère d'Annie était désemparée. Trash prit délicatement la main de son amie et lui susurra :

« On y va. »

La jeune fille, heureuse de cette intervention qu'elle considérait comme un miracle, opina du chef. Sa mère retrouva sa voix :

« N... Non... Annie... attends ! »

L'adolescente lui lança un regard empli de véhémence.

Elle ne répondit pas et s'en alla, main dans la main avec son sauveur, sous le regard impuissant de sa génitrice. Après leur départ, cette dernière s'écroula sur ses genoux. C'est à cet instant qu'elle comprit son erreur. Dégoutée d'elle-même, dévastée par les regrets, elle fondit en larmes.

***

Après sa sortie de l'hôpital, la relation entre le père et son fils s'était inversée. Il était terrifié par Trash et n'osa dire quand celui-ci lui avait annoncé qu'Annie resterait chez eux un certain temps.

Trash parla à Annie de son idée de bande dessinée. Elle y adhéra en tant que dessinatrice. Trash était doué en informatique. Après quelques mois à peaufiner le scénario et développer un site web, il put finalement publier leur histoire.

Après ces nombreuses semaines, Annie décida de retourner chez sa mère. Au fond, elle l'aimait. L'adulte fut heureuse de la voir de retour et l'accueillit chaleureusement. La jeune fille fut surprise d'apprendre qu'elle avait rompu avec son petit ami, car leur relation était devenue toxique.

La veuve avait appris de ses erreurs et arrêté d'étouffer sa fille avec son obsession pour l'excellence. C'est ainsi que Trash et Annie s'étaient débarrassés de leurs tourments, leurs bourreaux et pouvaient vivre librement.

Un soir, ils rentraient de l'école. Annie prit un air sérieux, ce qui étonna son ami.

« Trash... je... je dois te dire quelque chose... » balbutia-t-elle.

Elle baissa les yeux. Ses joues commencèrent à rougir. Trash ne comprenait pas ce qui se passait, ni ce qu'il ressentait. Lui aussi, son cœur tambourinait.

L'intérieur de la poitrine de l'adolescente battait la chamade. Elle prit son courage à deux mains et regarda son interlocuteur droit dans les yeux.

« Trash... je... je... »

Soudain, Trash perdit connaissance et ce fut au tour d'Annie de se faire assommer par surprise.

***

Lorsqu'il reprit ses esprits, Trash se trouvait dans une cave. La lumière était très faible. Une odeur nauséabonde d'urine et d'excréments assaillait ses narines. Sur le sol crasseux, étaient visibles de nombreuses tâches de sang et de petits os. Des squelettes d'enfants démembrés étaient accrochés contre les murs sales.

Trash était lui aussi attaché. Il fut horrifié lorsqu'il entendit des gémissements de douleur près de lui.

Annie se faisait torturer sous ses yeux.

L'ex de la mère d'Annie était tranquillement installé sur bloc de métal, à profiter du spectacle. Trash comprit immédiatement. Il avait sans doute payé un tortionnaire, ayant commis de nombreux infanticides, pour se venger.

Le regard de son amie, tordu de douleur. Son air désespéré. Son sang qui coulait...

Trash ne pouvait le supporter. La colère traversa tous les muscles de son corps. Il hurla de toutes ses forces, emporté par la rage. Si ce monde était absurde, il refusait d'être une nouvelle fois victime.

Grâce à son Drive, il réussit à se libérer. La haine déforma son visage. Il fonça sur le criminel. Ce dernier avait des pouvoirs, ce qui posa des difficultés à Trash. Mais le garçon, armé d'une détermination terrifiante, parvenint à vaincre son adversaire.

Il ne pouvait plus se contenir. Envahi par une fureur et une soif de destruction irrépressibles, Trash assassina son adversaire à mains nues, sous le regard ébahi d'Annie.

L'ex de la mère de celle-ci était pétrifié. Interloqué de voir cet adolescent transformé en monstre, il trembla de tout son corps et ne pouvait même plus se mouvoir. Il l'avait sous-estimé et le regretta amèrement. Sans la moindre hésitation, Trash le liquida.

Il était couvert de sang. C'était la première fois qu'il commettait un meurtre... et il avait aimé cette sensation. Quant à elle, Annie fut traumatisée par cet évènement et perdit l'usage de la parole.

La mère de la jeune fille lui faisait consulter un psychologue, mais cela n'aboutissait à rien. Elle refusait de confier quoi que ce soit au professionnel. Seul son ami savait ce qui s'était passé.

***

Après cette mésaventure, Trash et Annie se rendirent compte des dangers du monde qui les entourait. Ils profitaient de leur temps libre pour s'entraîner. À Quatorze ans, lorsqu'elle se sentit prête, la jeune fille accompagnait son ami, à la recherche de criminels à supprimer. Ils ne le faisaient pas par sens de la justice. Ils le faisaient pour eux-mêmes, pour se protéger.

Naturellement, ils tombèrent sur la route de Skill. Leurs idéaux n'étaient pas les mêmes, mais ils avaient un but en commun. Ils ne voyaient pas en lui une menace, mais plutôt une protection. Ils se sentaient en sécurité à ses côtés. Le blond décida ainsi de les enrôler.

C'est à quinze ans que les convictions de Trash et Annie prirent une nouvelle direction. Avec l'accord de Skill, les deux adolescents avaient décidé de prendre une pause de quelques jours. Ils faisaient une soirée jeux-vidéo chez la jeune fille. Il était tard et la mère de celle-ci dormait déjà.

Des personnes qui étaient contre la publication de leur bande dessinée s'introduisirent chez elle. Trash ne savait pas comment ils avaient obtenu son adresse, mais peu importait. Armés de couteaux et de haches, ils se jetèrent en silence sur Annie.

Cette attaque lui rappela son traumatisme. Au lieu de se défendre, elle se recroquevilla sur elle-même et frémissait. Le souvenir de cette journée infernale était également revenu dans l'esprit de Trash. Tout était en train de se répéter.

Allaient-ils à nouveau être victimes ?

Non, il en était hors de question.

Le garçon se ressaisit très vite et désarma les individus. Après les avoir neutralisés, il leur posa plusieurs questions. Il apprit alors que les agresseurs avaient découvert leur identité et l'adresse d'Annie, car un camarade du lycée les avait dénoncés. Il avait aperçu la jeune fille, en train de dessiner une case de la bande dessinée sur sa tablette.

Après avoir pris connaissance de ces révélations, son sang était en ébullition. Trash se débarrassa discrètement et sans pitié des agresseurs.

Trash et Annie comprirent que les criminels avérés n'étaient pas le seul danger. Un camarade de classe, le voisin du quartier, un jardinier, l'épicier au bout de la rue... tout individu représentait une menace, directe ou indirecte.

C'est alors qu'ils utilisèrent le concept de l'habillement pour se créer des masques.

Le même matin, la mère d'Annie vit aux informations que deux individus avaient attaqué l'établissement qu'elle fréquentait. Directeur, professeurs, comme lycéens, tous avaient été sauvagement tués.

C'est ainsi qu'une enquête fut lancée contre des criminels juvéniles à l'apparence factice.

Chapitre Suivant