Chapitre 59 : Déstabilisation

Cammy refusa catégoriquement la proposition de Berthold et Annie. Bien qu'à contrecœur, ceux-ci décidèrent de l'éliminer. Au cours du combat, le garçon s'est fait déboiter l'épaule droite et crever l'œil. Mais la jeune femme s'est retrouvée piégée, ses propres vêtements se retournant contre elle. S'en est suivi un son strident de chair broyée.

***


La douleur est intense. Un vrai supplice.

Les yeux écarquillés, Berthold est stupéfait de voir son avant-bras droit complètement écrasé, désarticulé, avant de se détacher de son corps. Annie, tout aussi surprise, ne comprend pas comment son ami, qui avait l'avantage, s'est retrouvé amputé.

Le t-shirt de Cammy grossit considérablement, puis se dégonfle. Ses manches s'allongent sur une dizaine de mètres, rampent sur le sol et écrasent les carreaux. Le tissu forme ensuite des poings géants qui frappent brutalement dans le vide, manquant d'atteindre la jeune femme.

Ses vêtements ne cessent de prendre diverses formes aussi grotesques les unes que les autres et attaquent dans tous les sens. Cammy, Berthold et Annie esquivent tant bien que mal, car un seul coup d'encaissé peut leur faire subir des dégâts mortels.

Dès le moment où Cammy s'est rendue compte que Berthold contrôlait ses vêtements, elle les a fait passer de contrôlés à incontrôlables, ce qui a conduit à cette situation.

Les vêtements de la jeune femme ne cessent de bouger dans toutes les directions. Les murs, le sol et le toit du restaurant se font progressivement détruire. Les débris tombent de partout. Le bâtiment ne tient plus. Les trois individus quittent la salle en urgence.

Dès qu'ils sortent, tout s'écroule. L'établissement n'est plus qu'un tas de ruines. Cammy fait redevenir ses vêtements normaux. Berthold et Annie la regardent, effarés. Elle sait que son adversaire ne risquerait plus de tenter une nouvelle prise de contrôle, car ce serait extrêmement risqué pour tous.

Berthold a le visage tordu de douleur à cause de son bras. La manche de son pull s'attache solidement à la partie blessée, stoppant l'hémorragie.

Cammy est soulagée de constater que les habitants à proximité ont eu le temps de s'enfuir. La rue est déserte. Néanmoins, ce n'était pas sans victime.

Berthold dirige amèrement son visage vers le cadavre d'un homme ayant environ la soixantaine. Il a le corps parcouru de plaies. Annie semble dégoûtée.

« Regarde, s'offusque le garçon. Dans la fuite, quelqu'un n'a pas hésité à bousculer ce gars. Personne ne s'est arrêté. Les autres l'ont piétiné jusqu'à broyer complètement son crâne. Tu es fière d'avoir sauvé ces gens ? »

Cammy est attristée par la mort de cet homme. Elle ne veut pas lui donner raison, mais ne trouve aucun argument à rétorquer. Elle se contente de garder le silence, navrée.

Annie s'envole sur le toit d'un bâtiment commercial. Les manches du pull de Berthold, bien décidé à poursuivre l'affrontement, s'étendent sur plus de trois mètres. Cammy comprend qu'il s'apprête à répéter la technique qui l'avait autant mise à mal.

Tels des fouets, les extensions du tissu s'abattent sur elle dans toutes les directions imaginables à une vitesse fulgurante. Impossible pour elle d'anticiper et encore moins d'éviter.

Alors qu'elle prend sur elle, encaissant les coups qui l'assaillent implacablement, Berthold remarque quelque chose d'étrange. Malgré la souffrance, elle ne vacille pas. Elle fend le goudron d'un coup de poing et ramasse deux petits morceaux qu'elle lance au ciel.

Aussitôt, les débris se multiplient, envahissant toute la rue. Un déluge de projectiles se produit.

« Qu'est-ce qui se passe ? se demande Berthold. Elle aurait fait augmenter les pierres en transformant un petit nombre en un grand nombre ? Pas mal, mais elle pense réellement pouvoir m'avoir comme ça ? »

La capuche de Berthold gonfle, protégeant tout son corps des projectiles qui se craquèlent à son contact. Les morceaux de terre sont très fragiles. Pareillement, ils ne font pas le moindre mal, ni à Cammy, ni à Annie.

Le garçon continue ses rafales de coups de fouet, troublé. Il ne comprend pas ce qu'essaie de faire son adversaire. Tout à coup, ses attaques ne touchent plus Cammy.

Celle-ci esquive agilement tous les assauts de son opposant. Ce dernier a les yeux exorbités, étonné.

En réalité, les débris qui ont submergé la rue n'avaient pas pour but d'attaquer. Dès que les fouets de son adversaire touchent les projectiles, elle est alertée, car les blocs de terre sont sous son contrôle. Cela lui permet de savoir de quelles directions viennent les attaques, sans avoir besoin de les voir.

Elle n'a concentré qu'une très faible partie de son Drive dans les projectiles, ils sont donc inoffensifs.

D'une habileté spectaculaire, Cammy évite tous les assauts et se rapproche de son adversaire déboussolé. Lorsqu'elle est à un mètre de lui, sa manche se rétrécit, puis s'allonge instantanément pour lui assener un coup tranchant. Très vite, elle esquive l'attaque d'un léger bond. Elle prend appui et glisse sur le tissu.

La tête de Berthold est toujours protégée par son pull. Alors qu'il portait sa capuche, celle-ci s'enlève contre sa volonté. Son crâne est à découvert. Ce dernier, abasourdi, n'a pas le temps de réagir. Cammy déchaîne sur lui un coup de pied circulaire dévastateur dans la tempe.

« C'était donc ça son but... ? réalise-t-il. Sûr que ma barrière était infaillible, je n'ai même pas cherché à esquiver. Cette pluie de débris, ce n'était pas seulement pour éviter les coups de fouets. Elle m'aurait donc incité à me défendre avec ma capuche afin de me conforter dans un sentiment de sécurité et la faire retirer à la dernière seconde pour me déstabiliser... ? »

Il se fait violemment propulser, traversant plusieurs bâtiments sur son passage, avant de fracasser un mur où il s'étale de tout son long, le visage en sang.

Elle hésite à partir à sa poursuite, quand son regard se porte sur Annie. Cette dernière fixe Cammy d'un regard noir.

« Elle... pourquoi elle n'intervient pas ? s'interroge Cammy, suspicieuse. Est-ce qu'elle prépare un truc ? Je ferais mieux de garder un œil sur elle. Elle peut me sortir une attaque surprise à tout moment... »

Leur échange visuel dure un moment, avant que Berthold ne revienne, titubant. Il halète. Les deux opposants ne bougent pas et s'observent.

Malgré leur harassement, ils ont le regard flamboyant. Leur détermination ne faiblit pas.

« Et lui... pourquoi il n'attaque plus ? réfléchit Cammy. Peut-être qu'il attend que je vienne à lui pour me la faire à l'envers. Son pouvoir est comme une épée et un bouclier. Si je veux le dégommer, il faut que je règle le problème à la base. »

Habillé, Berthold se retrouve déshabillé. Tous ses vêtements disparaissent soudain, il est complètement nu.

Le garçon est fortement troublé. Annie rougit, déconcertée et embarrassée. Cammy, quant à elle, reste pleinement concentrée. Profitant de la confusion, elle fonce sur lui et effectue un redoutable Spear, la technique de catch. Elle le plaque lourdement à terre grâce à un coup d'épaule titanesque dans l'abdomen.

Le sol se désintègre. Grinçant des dents de douleur, Berthold a l'impression d'être tranché en deux. Il est engouffré avec son adversaire dans un ravin.

Le prenant à califourchon, Cammy lève son poing dans l'intention de l'assommer pour de bon. Contre toute attente, elle encaisse une puissante attaque dans les côtes. Prise de court, elle est brusquement projetée en diagonale dans les airs. D'en haut, elle aperçoit Berthold qui reconstitue rapidement ses vêtements. Il lui a sans doute porté un coup grâce à la manche de son pull.

« J'ai été trop optimiste... se dit-elle. Si son concept est celui des vêtements, il peut forcément en créer à volonté ! C'est une usine sur pattes... »

Lorsqu'elle termine sa réflexion, elle retombe sur le sol goudronné, à la surface. Le thorax en feu, elle se relève très lentement. Elle est presque à court d'énergie, à cause de l'utilisation répétitive de son pouvoir.

Le souffle saccadé, elle voit l'autre combattant sortir du creux, tenant lui aussi à peine debout.

Ils ne s'échangent aucun mot, mais partagent leur douleur.

Soudain, Cammy sent une présence derrière elle. Par réflexe, elle se décale sur le côté et esquive un coup de poing. Lorsqu'elle se retourne, elle est horrifiée.

L'homme décédé est debout face à elle. Son corps est contrôlé grâce aux vêtements qu'il porte. Telle une marionnette, le cadavre se jette sur elle.

« Tu te rends compte à quel point ce que tu fais est ignoble ?! s'écrie-t-elle, écœurée.

- Tous les moyens sont bons... pour gagner... » balbutie le garçon, le regard vide d'émotion.

« Je suis désolé, Cammy, se dit-il, peu scrupuleux. Mais on te connaît. Tu n'oseras jamais porter la main sur le cadavre d'un individu. »

Après avoir esquivé une attaque de l'homme, Cammy hurle de colère :

« Enfoiré !! »

Puis, elle enchaîne avec un coup de poing fulgurant dans l'estomac du monsieur. L'abdomen ouvert, le cadavre est brutalement propulsé.

Berthold, étonné de sa réaction, n'est pas au bout de ses surprises. La marionnette, qui était en face de lui, se retrouve dans son dos.

Le corps de l'homme, chargé du Drive de Cammy, devient un projectile destructeur qui entre en collision avec l'échine de Berthold.

Médusé, ce dernier est projeté en direction de Cammy, la tête la première. Celle-ci fait un salto arrière et le réceptionne avec un terrible coup de pied qu'il encaisse de plein fouet dans le front.

Il est catapulté sur le sol qui se fait crevasser. Un nuage de poussière et de débris se forme.

Pendant son mouvement acrobatique, Cammy perd une de ses pantoufles qui virevolte dans les airs. Lorsqu'elle atterrit sur ses deux jambes, sa chaussure gagne soudain en volume.

Une ombre se dessine au-dessus d'elle. Lorsqu'elle lève la tête, elle est éberluée. La pantoufle, devenue géante, s'abat sur elle. Tel un marteau gigantesque, la chaussure écrase le dos de Cammy et ouvre profondément le sol. Plusieurs vertèbres brisées, elle ne peut plus bouger et ne ressent même plus la douleur.

« Quelle crétine... se blâme-t-elle. Il a retourné ma tactique contre moi... Je pensais qu'il n'aurait pas les tripes de contrôler à nouveau mes vêtements. Je me suis trop sentie en sécurité et j'ai baissé ma garde... »

Du sang coule de ses oreilles, signe qu'elle a atteint ses limites. Utiliser à nouveau de l'énergie, aussi infime soit-elle, pourrait lui coûter la vie.

De son côté, Berthold git également dans un creux. Une douleur infernale traverse son crâne. À bout de force, il peut à peine se mouvoir. Un son de pluie souffle dans ses oreilles, il est au bord de la perte de connaissance.

Annie est estomaquée de voir les deux adversaires dans un tel état. Elle sort un mouchoir.

Tout à coup, cinq individus font leur apparition. Ils portent tous le brassard de la brigade, avec au milieu, le chiffre deux. Ils sont ahuris devant un tel spectacle. L'un d'eux s'adresse à Annie, l'air hostile :

« Pourquoi sont-ils dans un tel état ? C'est toi la nigh qui a attaqué le restaurant ?! »

Un climat d'animosité s'installe. Annie leur lance un regard ténébreux. Les membres de l'organisation en font de même, prêts à la liquider à tout instant.

Mais soudain, Berthold sort de son ravin et marche très lentement, chancelant, vers les exterminateurs.

« Éloignez-vous d'elle... vous avez compris... ? » balbutie-t-il.

Les brigadiers sont confus. Ils fixent le garçon, dans un piteux état, qui avance malgré tout, déterminé. Voyant les membres de l'organisation circonspects, il continue d'un ton haineux :

« Ne l'approchez pas... est-ce que c'est clair... ?! »

Les concernés comprennent immédiatement qui est leur ennemi. Sans pitié, ils foncent sur l'adolescent. Ce dernier, d'une volonté implacable, hurle de toutes ses forces. Tel un animal blessé, il se bat avec une férocité effroyable. Sa brutalité n'a d'égal que ses rugissements. Son bras gauche, bien que moins puissant, détruit les os de ses assaillants. Ses vêtements, telles des lames aiguisées, déchirent impitoyablement leur chair.

Leur sang se répand à flots sur le champ de bataille et recouvre entièrement le corps de l'adolescent. C'est un pur massacre.

Même si elle ne voit pas la scène, Cammy est épouvantée. Elle entend tout des cris lugubres qui résonnent.

Après s'être déchaîné sur les humains, Berthold s'écroule de tout son long. Rassemblant le peu des forces qui lui restent, il rampe à même le sol jusqu'à Cammy.

« Cammy... déso...lé... » dit-il, grandement affligé.

Elle ne répond rien et ne peut qu'afficher un regard décontenancé, voire choqué.

Puis, tout devient noir. Elle perd connaissance.

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