Chapitre 55 : Première journée

Contrairement à ses attentes, Al s'est montré très compréhensif lorsque Kerry a évoqué le sujet de la brigade. Elle s'est fixé l'objectif de trouver une solution concernant les malédictions. De son côté, Agiel s'est résolue à présenter ses excuses à l'humaine.


***


Le matin, aux aurores, Kerry est prête pour aller au travail. Cependant, avant qu'elle ne quitte le salon, Agiel entre dans la pièce.


« Salut, toi ! lui sourit l'humaine.

- Bonjour... » répond la nigh d'un ton assez froid.

Agiel prend une longue inspiration, puis expire. Elle ne regarde pas Kerry dans les yeux, tant ce qu'elle essaie de lui dire est pénible. S'efforçant de tenir sa résolution, elle finit par bredouiller :

« Je... je m'excuse pour tout à l'heure...

- Oh mais ne t'en fais pas pour ça ! s'exclame chaleureusement Kerry. Alors, tu as bien dormi ?

- Non. »

Après avoir donné une réponse extraordinairement sèche, Agiel quitte immédiatement la salle. Kerry papillonne des yeux, déroutée. Elle se gratte la tempe et finit par s'en aller elle aussi, laissant seul Al, dormant sur le canapé.

***


Lorsque les rayons du soleil commencent à illuminer la ville, Cammy quitte son lit, après avoir très mal dormi. Elle descend et rejoint Al qui est déjà debout, en train de prendre son petit déjeuner dans la cuisine. Kerry leur a apporté quelques courses avant de retourner au travail.

« Tu as décidé de copier le maquillage d'Agiel ? » ironise-t-il après avoir bu une gorgée de café, faisant référence aux cernes sur son visage.

Loin d'être amusée, Cammy s'étire longuement et répond, toujours fatiguée :

« M'en parle pas... Je suis devenue un vrai zombie, comme toi... C'est quoi le programme, aujourd'hui ?

- On va s'exercer un peu. J'ai imaginé un moyen de combattre Skill et Agiel est d'accord.

- C'est vrai ?! s'enthousiasme-t-elle. Allez, je vais vite prendre une douche et tu m'expliques ça ! »

Elle sautille vers la salle de bain. Sa fougue soudaine n'étonne plus Al, qui continue de mâcher et avaler les aliments sans aucune saveur pour ses papilles gustatives.

Ils se retrouvent donc sur le canapé. Tandis qu'Al se sent lourd après son repas, Cammy l'attend, impatiente qu'il dévoile son fameux plan. Comme à son habitude, il s'explique nonchalamment :

« Du coup... le truc de Skill, c'est qu'il peut faire pratiquement tout ce qu'il veut grâce à ses symboles. Se faire toucher par son pouvoir, c'est le game over. J'ai remarqué que ça fait effet dans deux cas : soit quand sa technique est en contact direct avec l'adversaire, soit au moment où c'est assez proche de lui, on va dire, à moins d'un mètre. Ça atteint de plusieurs manières : il peut le coller sur sa cible avec un coup au corps à corps, balancer simplement le motif à distance, ou encore, le faire apparaître de nulle part... »

Cammy hoche de la tête, très attentive.

« Alors, on va éviter tout ça comment ? questionne-t-elle.

- Tu viens déjà de donner la réponse. On va esquiver, tout simplement » l'éclaire-t-il, dans le plus grand des sérieux.

Cammy fronce ses sourcils, déboussolée. C'est donc ça, sa tactique ?

« Tu te fous de moi ? Je dois te rappeler que c'est la base, dans un combat ? Depuis quand esquiver, c'est une stratégie ?

- J'ai jamais dit qu'il s'agissait d'une stratégie. De toute façon, il peut déjouer n'importe quel plan bien ficelé, grâce à son pouvoir. Dès qu'il comprend ce que tu as l'intention de faire, il sort un retournement de situation miraculeux.

- C'est beaucoup trop hasardeux. On ne gagnera jamais comme ça, proteste-t-elle.

- Laisse-moi au moins t'expliquer. Ça sera simple. Le principe est de ne pas se laisser toucher, même pour parer. Parce qu'il peut déposer ses symboles avec un simple coup de poing. Ça sera un jeu d'esquive/contre-attaque. Et concernant ceux qu'il balance et apparaissent de nulle part, il suffira d'être vigilant et réagir au bon moment. »

Malgré les explications d'Al, Cammy est peu convaincue. Mais, en même temps, il est vrai que Skill a de trop nombreuses possibilités et qu'il peut retourner n'importe qu'elle stratégie minutieuse à son avantage. Elle soupire.

« Tu es sûr que tu pourras tout esquiver ? espère-t-elle.

- C'est notre seule carte, donc oui. Il faut juste que je travaille ma réactivité, affirme-t-il, armé d'une ferme détermination.

- Je te fais confiance, alors. Je sais que tu ne me décevras pas. »

Elle sourit et lui fait un clin d'œil.

***


Ils vont dans le sous-sol non aménagé. L'espace est vaste et vide, bien qu'insalubre. Cammy regrette de s'être douchée, ensevelie sous les parois crasseuses, toiles d'araignée et la poussière.

Motivée, elle s'échauffe, pendant qu'Al baille paresseusement. Elle fait un rictus et le provoque :

« T'aurais pas dû te remplir autant le bide. Je vais bientôt te faire vomir ton petit déj'.

- Ne t'inquiète pas pour moi. Toi, par contre, tu n'as pas encore mangé. Prépare-toi à bouffer le sol. »

Elle fait mine de se renfrogner et se jette sur lui. L'affrontement est équilibré. Ils ont quasiment la même force et vitesse. Al se fait toucher de nombreuses fois. Cependant, Cammy est moins endurante. L'effet de la fatigue se fait ressentir au bout d'une trentaine de minutes.

Al lui fait signe de la main d'arrêter.

« On fait une pause, propose-t-il.

- Non, refuse Cammy, haletante. Il faut aussi bosser sur l'endurance ! Tu crois peut-être que si t'es face à un adversaire coriace, tu vas lui dire : Eh mec, je suis crevé, on s'arrête cinq minutes ? »

Al tente de répondre, mais il est interrompu par un coup furtif qui le balaie.

« Idiot ! T'as oublié que quand Skill commence à papoter, c'est pour gagner du temps et te surprendre avec une technique juste après ? » se moque-t-elle.

Réalisant qu'elle a raison, ils continuent leur entraînement, qui ne donne pas les résultats escomptés. Al encaisse et pare, mais ne parvient pas à tout esquiver. Au bout de quatre heures, ils s'écroulent, complètement épuisés.

Cammy s'assoupit. Lorsqu'elle rouvre les yeux, elle est dans le lit de Kerry. Voyant celle qui l'a conduite, sur le point de partir, elle l'interpelle :

« Agiel ! Je ne veux pas dormir... »

La blonde est confuse. Cammy semble effrayée et anxieuse.

« À chaque fois que je dors, je fais des cauchemars... appuie-t-elle.

- Tu as grand besoin de repos, explique la blonde. Al, lui aussi, fait une sieste. Ça te fera du bien. Ne t'inquiète pas, tous les rêves ne sont pas forcément des cauchemars. »

Agiel se rapproche d'elle et lui sourit.

« Dors bien » lui souhaite-t-elle d'un ton réconfortant.

Elle passe délicatement la couette sur Cammy, avant de quitter la chambre. Cette dernière se sent plus rassurée. Elle ferme les yeux malgré ses craintes. À cause de son exténuement, le sommeil l'emporte sans même qu'elle ne s'en rende compte.

Cette fois, elle ne se fait emprisonner par aucun cauchemar.

***


En fin d'après-midi, Cammy se réveille. La faim devenant insupportable, elle est obligée de manger. Après s'être nourrie, en dépit de la douleur à laquelle elle ne parvient pas à s'habituer, elle se sent beaucoup mieux. Sa vivacité retrouvée, elle rejoint Al, qui l'attend sur le canapé du salon.

« On y va !! »

Ce dernier hoche de la tête, ne manquant pas de volonté et ils retournent au lieu de leur entraînement.

Le même scénario se répète, Al n'arrive pas à atteindre son but.

Il se relève une énième fois, le visage couvert de bleus. Soudain, le jeune homme met ses mains dans les poches.

« Qu'est-ce que tu fais ? demande-t-elle, troublée.

- Il arrive que par réflexe, mes mains bougent d'elles-mêmes pour parer. C'est parce que je suis trop habitué à les utiliser. Et au lieu de me concentrer à esquiver, je suis trop occupé à vouloir contrôler mes bras pour ne pas contrer. Entre temps, je mange tes coups. Si je me contrains à les garder dans mes poches, peut-être que je pourrai m'en passer, à force. Tu en penses quoi ?

- Si tu penses que ça va marcher, on peut essayer. Je sais que je peux compter sur toi » accepte-t-elle, confiante.

Al lui fait donc signe de s'amener et elle fonce sur lui. Tous les deux sont pleinement concentrés et d'un sérieux exceptionnel. Bien qu'au début, Al utilise toujours inconsciemment ses bras, une amélioration est visible par la suite. Après trois heures de pratique, son corps commence à s'y habituer. Il encaisse toujours des coups, mais ses mains ne bougent plus. Il les sort de ses poches, ce qui lui permet de se déplacer beaucoup plus aisément.

Cammy attaque aussi férocement qu'elle peut, tandis qu'Al fait appel à ses meilleurs réflexes, comme si sa vie en dépendait. D'une agilité remarquable, il parvient petit à petit à échapper aux assauts effrénés de la jeune femme.

Deux heures plus tard, malgré la fatigue qui accable leurs muscles, leur souffle de plus en plus saccadé, la sueur qui perle sur le sol, les nombreuses blessures d'Al, ils ne diminuent pas d'ardeur. Le jeune homme parvient finalement à lire dans les mouvements de Cammy et arrive à tout esquiver.

Le premier objectif est atteint : il ne se fait plus toucher.

La nuit tombée, c'est à bout de force qu'ils s'arrêtent pour aujourd'hui. La prochaine séance, Al devra attaquer tout en veillant à ce qu'aucun coup ne l'atteigne.

Cammy est exténuée et n'arrive plus à tenir debout. Al lui tend la main. Elle répond avec un sourire resplendissant :

« Tu m'as épatée sur ce coup là, partenaire.

- C'est grâce à toi » dit-il simplement.

Ils se serrent la main et le jeune homme l'aide à se relever. Elle prend appui sur son dos et ils remontent pour un repos bien mérité.

Fournir autant d'efforts pendant une telle durée, sans relâche, est terriblement éprouvant. Mais ils n'ont pas le choix, le temps presse.

***


Après avoir pris un bon bain, s'être reposée et préparé une surprise, Cammy va dans la chambre d'invité. Elle y trouve Agiel, qui regarde par la fenêtre sans but, songeuse.

« Tu as mangé ? interroge Cammy.

- Je n'ai pas faim » élude la blonde.

Soudain, le ventre d'Agiel gargouille. Cammy lui fait un rictus narquois.

« T'es peut-être une experte du mensonge avec la bouche, mais c'est pas possible avec tes boyaux ! » nargue-t-elle.

Agiel ne répond pas immédiatement. Elle est gênée.

« Comment pourrais-je manger chez elle, alors que j'ai été aussi froide avec elle ce matin ? se confie la blonde.

- Tu lui as présenté tes excuses, non ?!

- Oui, mais... tente-t-elle de bafouer.

- Il n'y a pas de mais ! l'interrompt Cammy. Tu as quand-même fait un effort et c'est déjà pas mal ! Tu te souviens, t'as dit que je devais me reposer. Bah toi aussi, tu dois manger, sinon, tu vas devenir comme moi, à l'époque. C'est-à-dire maigre comme un coucou ! »

Elle ne laisse pas Agiel répliquer et la prend avec entrain par la main. Elles dévalent les escaliers et Cammy la force à s'asseoir sur une chaise, dans la cuisine, en face d'Al, qui prend son dîner. De la soupe de sang de bovin bien fraîche est prête sur la table.

Les morceaux de viande baignant dans le liquide rouge sont appétissants. Néanmoins, Agiel se montre réticente.

« Cammy, je... »

Elle essaie de décliner, mais ne termine pas sa phrase, lorsque Cammy plonge intensément ses pupilles bleues dans les siennes. Bien décidée à persuader la blonde, elle commande :

« Tu as la chance de pouvoir manger normalement. Alors, tu devrais en profiter, tu ne crois pas ? »

Agiel ne trouve rien à rétorquer. D'abord muette, elle acquiesce, finalement convaincue. Cammy ne manque pas de lui montrer sa joie et fait un sourire étincelant. Puis, elle les taquine avant de quitter la pièce :

« Allez, à plus tard, les morts-vivants ! »

La blonde est à présent seule avec le jeune homme. Elle se saisit de la cuillère et ils absorbent leurs mets en silence. Un détail retient tout à coup l'attention d'Agiel.

« Où est Kerry ? fait-elle remarquer.

- Au boulot. Elle remplace J. à la tête des unités de patrouille, du coup, elle ne reviendra pas avant minuit. Mais elle pourra prétexter un empêchement quand on sera prêts à aller défoncer la team Skill.

- C'est-à-dire quand ?

- Dans deux ou trois jours » affirme-t-il.

Agiel avale difficilement le bout de chair. Cette durée lui paraît déjà comme une éternité. Al, lui aussi, semble pas mal préoccupé.

« Ça fait beaucoup, s'inquiète-t-elle.

- Je sais, mais ne te fais pas trop de soucis pour ça. Sois sûre qu'on fera de notre mieux. Après tout, c'est cool d'avoir un hôtel gratuit, mais c'est encore mieux de se dépêcher avant que l'autre taciturne ne joue au bowling avec nos têtes » dérisionne-t-il.

Agiel se surprend à laisser s'échapper un gloussement et oublie un instant ses tracas.

***


Cammy se retrouve donc seule au salon, d'humeur gaie. Elle est contente des progrès fulgurants d'Al. Même s'il lui reste encore beaucoup à faire, elle reste positive.

Elle allume l'ordinateur de Kerry et se connecte sur le site où elle publie son histoire. Comme d'habitude, elle ne s'attend pas à grand-chose. Cependant, elle a reçu une notification. Elle clique sur la petite cloche, lui indiquant qu'elle a un nouveau commentaire.

Toute excitée, elle l'affiche, dans l'attente d'un retour constructif. Cependant, la joie se transforme en profond dépit lorsqu'elle voit ce que l'inconnu a écrit :

« Eh bien, petite pute, ça fait longtemps que tu n'as rien publié. Bonne nouvelle ! Tu as enfin compris que ton histoire est à chier ?! J'espère bien. Je te préviens, la prochaine fois que tu postes un chapitre, je te jure que je te retrouverai, et je te ferai la peau, pétasse. Au lieu de pondre de la merde, va plutôt te jeter sous un pont, salope inutile. »

Elle a beau le bloquer à chaque fois, cet utilisateur ne cesse de revenir inlassablement à la charge, avec de nouveaux comptes. Elle ne sait plus quoi faire le concernant. Mais si une chose est sûre, c'est qu'elle en a plus qu'assez.

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