Chapitre 43 : Réunion stratégique

Agiel parvint à convaincre Daisy d'être honnête avec elle-même. Cette dernière leur confia alors la requête de sauver son frère de cœur.

***

Dès que Daisy quitte l'appartement, en fin d'après-midi, Al s'adresse à Agiel, sceptique :

« Il y a comme un bug, là. Toi, Agiel, tu es vraiment capable de t'empêcher de tuer un adversaire ?

- En réalité, si ça ne tenait qu'à moi, je l'aurais supprimé, parce qu'il est beaucoup trop dangereux. Même si j'avoue que j'ai fait cette promesse sans réfléchir, je suis bien résolue à la tenir, affirme-t-elle avec une ferme conviction, avant de les rejoindre sur le sofa.

- Il faudrait d'abord qu'on soit capable de le battre », lâche Al, manquant apparemment tellement de détermination, qu'il semble désabusé.

Cependant, Cammy, qui n'est pas du même état d'esprit, montre sa fougue et son enthousiasme débordants :

« Le changement de camp de Daisy est une mini victoire. Continuons de persévérer. Allons nous entraîner, on doit devenir plus forts !

- Wow, wow, tu t'es crue où, là ? On ne fait pas ça ici, intervient Al avec indolence, lui faisant signe de la main de se calmer.

- Tu veux dire pas de power-up, ni de transformations trop stylées ? continue Cammy.

- J'crois pas, non » désillusionne le jeune homme.

Elle fait alors une moue dépitée, tandis qu'Agiel ne comprend rien à la conversation.

Cammy reprend un air un peu plus sérieux, échange un contact visuel avec sa nouvelle amie et elles hochent de la tête simultanément, ce qui étonne Al.

« On t'écoute, introduit Agiel.

- Pour ? demande l'humain, qui ne saisit pas.

- Bah ton plan. Tu es bien placé pour savoir que c'est pas avec la force brute qu'on arrivera à battre un type comme lui, non ? complète Cammy.

- Vous m'avez pris pour le stratège du groupe ? rétorque le jeune homme, apathique. Agiel est mieux placée pour ça. Comme je le dis souvent, la stratégie, c'est pas mon fort...

- Oui, oui, tu nous as dit ça un milliard de fois. Mais t'as quand-même un truc en réserve, non ? insiste Cammy.

- Non, pas cette fois, avoue-t-il. Agiel, Skill a combien de sbires ?

- Si on retire Alice et Daisy, ils sont six, informe la concernée.

- On peut dire que ça fait beaucoup... »

Dès qu'il termine sa phrase, Al se plonge dans une courte réflexion. Son visage montre qu'il est pleinement concentré, et que lui non plus ne manque pas de volonté. Il prend enfin l'initiative d'exprimer ses idées :

« On va les appeler la team Skill, propose-t-il avec l'air le plus sérieux du monde.

- Que... qu'est-ce que tu racontes ? demande Cammy, perdue.

- C'est généralement comme ça qu'on appelle un groupe d'antagonistes qui n'a pas de nom officiel, réplique-t-il, le ton léger et harassé.

- Tu crois que c'est le moment de plaisanter ?! rouspète cette dernière.

- Si tu me laisses le temps d'expliquer où je veux en venir, tu vas capter, se justifie-t-il.

- Je pense que c'est juste sa manière de s'exprimer, il ne peut pas s'en empêcher... soupire Agiel.

- Ok... alors vas-y », patiente l'interlocutrice.

Al se racle la gorge et prend la parole, cette fois avec un sérieux indubitable, sous l'oreille attentive des demoiselles :

- Très bien. On sait que les membres de la team Skill sont nombreux. Et je ne pense pas qu'ils soient des pétards mouillés. Vu qu'on ne sait pas de quoi ils sont capables, c'est trop risqué qu'on se sépare. On ne peut pas aller chez moi, c'est possible que l'un d'eux connaisse mon adresse par des rumeurs. Chez Agiel non plus, vu que leur boss est son voisin. Alors, l'endroit où on a le plus de probabilités d'avoir le temps pour trouver un plan efficace contre lui, avant qu'ils débarquent, c'est ici même. Vous êtes d'accord ?

- Oui, approuvent-elles en cœur.

- Parfait. »

Al se lève, baille longuement, puis va dans la chambre pour revenir avec Miranda, inconsciente dans ses bras.

« Je retourne donc chez moi. Vous pouvez rester ici.

- Une seconde, proteste Cammy, confuse. C'est pas toi qui disais y a deux secondes, qu'on ferait mieux de ne pas se séparer ?

- Réfléchis une minute, explique-t-il calmement. Miranda a été empoisonnée par Skill. Vu qu'elle est sous l'effet de sa technique, logiquement, il peut la localiser à tout moment. Ça serait donc beaucoup trop risqué de la garder près de nous. Et puis, mon immeuble est à deux rues d'ici. Il ne va pas se passer un Armageddon pendant mon absence. »

Cammy acquiesce et Al s'en va. Lorsqu'il arrive chez lui, il installe la jeune fille dans son lit, puis la couvre de sa couette. Il l'observe quelques secondes, avant de murmurer avec une ferme détermination :

« ... On va te sortir de là. »

***

Le jeune homme retourne à l'appartement, où les jeunes femmes l'attendent, accompagné de quelques affaires. Cammy lui ouvre la porte.

« C'est quoi, dans ton sac ? » questionne-t-elle, curieuse.

En guise de réponse, il déballe les objets :

« Une boîte de café... une tasse... un livre... énumère-t-elle machinalement. Pourquoi je ne suis même pas étonnée ? De la viande, des spaghettis ? Je n'ai pas d'ustensiles ici, vu que je n'ai pas besoin de cuisiner.

- Alors, il va sûrement manger les pâtes crues, s'amuse Agiel.

- Tu déconnes, n'est-ce pas ? s'étonne-t-elle, incrédule.

- J'ai l'air de quelqu'un de conventionnel en matière de bouffe ? confirme Al, qui est loin de plaisanter.

- Waw. Dommage que ce soient pas des nouilles instantanées. Ça t'aurait fait gagner quatre-vingt-dix HP*, dit Cammy, avant de s'esclaffer, fière de sa blague.

- Ouais, pas mal » avoue Al sans sourciller.

Agiel voit la jeune femme prise d'un fou rire, sans encore une fois comprendre ce à quoi elle faisait référence. Cammy finit par se calmer, essuyant une petite larme, puis constate le dernier élément de la liste, un peu confuse :

« C'est pour quoi, les piments ?

- Pour mes longues nuits de travail. Et regarde plus attentivement la couverture du livre ».

Cammy porte une meilleure attention au livre. Ses yeux sont soudain emplis d'étoiles et elle sautille de joie.

« Le tome deux d'eau de javel ?! T'es trop cool !!

- Calme-toi. Je te rappelle qu'on a une putain de stratégie à mettre en place ».

Elle arrête de bondir et se racle la gorge.

« Tu... tu as raison. Restons full concentrés », approuve-t-elle en s'efforçant de garder un air sérieux, alors que le petit sourire qu'elle tente maladroitement de dissimuler la trahit.

Al roule des yeux et s'assoit lourdement sur le sofa, suivi par les demoiselles.

« Je propose qu'on fasse un brainstorming. On note sans critiquer toutes les idées, même les plus débiles et après on élimine celles qui sont pas bonnes, commence Al, nonchalant. Mais d'abord, il faut faire le point ».

Il commence à rassembler toutes les informations dont il se souvient sur Skill, pour continuer, monotone :

« Apparemment, son concept est celui des symboles. Les motifs qu'il fait apparaître ont donc des effets variés en fonction de leur signification. Mais ce qui rend ses techniques imprévisibles, c'est que leurs propriétés ne sont pas conventionnelles et dépendent de son interprétation personnelle. Par exemple, on a tous vu le crâne de mort comme une technique qui tue directement, alors que lui, voyait du poison. C'est pourquoi nous devons faire attention à ne pas dévoiler nos pouvoirs face à lui. Parce que s'il repère une compétence qui l'intéresse, il peut facilement la reproduire grâce à sa capacité, qui lui offre énormément de possibilités. Grâce à Miranda, nous avons compris qu'il avait un point faible. Ses symboles ne peuvent produire leurs effets que s'ils sont visibles. Malheureusement, il en était déjà conscient et y a trouvé une parad...

- Abrège ! coupe Cammy, impatiente. On est là pour trouver un plan, pas pour écrire un article Wikipédia soporifique !

- Elle a raison, soutient Agiel. Nous savons déjà tout ça.

- Ok, alors, accouchez vos propositions. Moi, j'ai rien en stock. »

Cammy se gratte le menton. Le point faible de Skill lui donne une idée qu'elle s'empresse d'exprimer :

« Bon, vu que son pouvoir ne marche que si on voit les bidules qu'il dessine, on pourrait l'enfermer dans une pièce complètement sombre ? Il n'aurait pas le temps de faire apparaître quoi que ce soit !

- Déjà, il n'est pas con, pour se faire attirer dans un tel endroit, proteste Al. Ensuite, dans le noir complet, on est désavantagés, vu que lui, est habitué à combattre les yeux fermés.

- Toi, je crois que t'as pas compris le principe du brainstorming... ronchonne celle qui a proposé sa réflexion.

- En fait, c'était pas la bonne méthode. Quand c'est pas bon, il faut le dire tout de suite et on passe à autre chose, balance-t-il de manière crue.

- Ma vengeance sera terrible. »

Cammy croise ses bras et fait une moue boudeuse, sous l'indifférence totale d'Al. Agiel tente à son tour :

« Cammy, tu pourrais faire l'opposé des symboles qu'il fait apparaître, pour le prendre au dépourvu ?

- Tu veux qu'on joue à la tombola ? réagit la concernée, sans se vouloir hostile. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée...

- Exact, appuie Al. Ça peut même se retourner contre nous si l'opposé de son symbole donne un effet encore pire. Sans compter qu'il fait apparaître ses motifs dans ton dos et au-dessus de ta tête. T'as même pas le temps de comprendre ce qui se passe que t'es déjà foutu.

- Bah alors, tu proposes quoi, toi ? » invite Cammy.

Al fait une réflexion rapide et lâche la première idée qui lui vient en tête :

« Agiel, vu qu'il est d'une humeur massacrante, à cause de nous... t'as qu'à utiliser ton pouvoir sur lui, comme tu l'as fait avec moi, pour qu'il soit tellement en colère, qu'il n'arrive plus à se concentrer pour balancer des techniques débilement complexes ?

- Tu oublies que j'ai perdu tous mes pouvoirs, rejette cette dernière. En plus, j'ai déjà essayé sur lui et ça n'a pas marché...

- Et BAM, mange ça, Monsieur je-contredis-toutes-les-idées-des-autres ! se venge Cammy, affichant un sourire moqueur jusqu'aux oreilles.

Al ignore sa provocation et continue de réfléchir. La pièce plonge subitement dans le silence total. Cammy observe l'humain, puis sa semblable, et commence à s'inquiéter. Ils semblent vraiment à cours d'idée.

Une question lui vient en tête, qu'elle partage avec les autres :

« D'ailleurs, quelqu'un sait pourquoi il a tout le temps les paupières fermés ? Je suis la seule qui meurre d'envie de connaître la couleur de ses yeux ?

- Je pense que c'est parce que se baser sur la vue pour percevoir les choses peut tromper, surtout pendant un combat, hypothèse Agiel. Il a donc préféré prendre l'habitude de se concentrer sur son ouïe pour mieux se repérer.

- Bah alors, on pourrait le déboussoler en produisant des sons partout autour de lui, non ? propose Cammy.

- Pas mal du tout, approuve Al en la pointant du doigt, près d'être convaincu.

- Ha, il y en a dans le ciboulot, s'enthousiasme-t-elle, fière de son idée.

- Oui... mais le problème, c'est qu'il a également un très bon odorat. Et il peut ouvrir les yeux à tout moment » s'oppose Agiel, avec le plus de tact possible.

Cependant, Cammy se calme, déçue.

Ils passent des heures à débattre, mais aucune proposition ne se révèle pertinente. Ils sont obligés de se rendre à l'évidence : ils sont dans une impasse.

Tard la nuit, le groupe décide de faire une pause, afin de prendre du recul. Mort de faim, Al dévore les spaghettis, crus, et ne garde qu'une pâte dans l'emballage.

***

Agiel regarde une série, jusqu'à s'endormir devant l'écran. Cammy, quant à elle, lit le livre qu'elle était impatiente de feuilleter. En temps normal, elle aurait privé la blonde de télévision pour jouer à la console, mais le roman a captivé toute son attention.

Quelques minutes plus tard, Cammy commence elle aussi à avoir sommeil. Elle arrête sa lecture et se tourne vers Al, qui lui a emprunté son ordinateur pour lire un Webtoon.

Elle se lève du meuble et s'étire longuement, avant de s'adresser à lui, extrêmement fatiguée :

« Tu vas bientôt dormir ?

- Non, expédie-t-il, tentant de se concentrer sur sa bande dessinée en ligne.

- Ok, juste pour te dire que quand t'auras envie de pioncer, t'as ce sofa bien douillet rien que pour toi, le nargue-t-elle en caressant un oreiller.

- Ok, merci.

- Je crève d'envie de connaître la suite de ce nekketsu génialement cool, mais là, je suis trop KO. Je vais me coucher, à demain, dit-elle d'un ton affectueux.

- Ok. »

Il ne lui porte pas plus d'attention, visiblement trop concentré sur son écran. Cammy ne bouge pas et le fixe longuement.

Dix, quinze, vingt secondes passent, et elle ne le quitte pas des yeux.

Intrigué, Al lui demande finalement :

« Quoi ?

- Tu n'as rien oublié ? » signale-t-elle, mystérieuse.

Il lève les yeux et commence à creuser dans sa mémoire. Cependant, il ne trouve rien.

« Non... ? » répond-il, troublé.

Cammy laisse alors s'échapper un sourire qu'elle essayait de contrôler.

« Il est où, mon bonne nuit, tête de nœud ? taquine-t-elle.

- Et puis quoi, encore ? Tu veux que je t'apporte ton doudou et que je te chante une berceuse ? ironise-t-il.

- Eh, j'ai un an de plus que toi, tu me dois le respect, OK ?! fait-elle mine d'être offusquée.

- Que je suis malpoli... Pardonne-moi, l'ancêtre. »

Face au sarcasme tranchant d'Al, elle saisit son oreiller, qu'elle balance sur lui.

« T'es trop nul !! » s'exclame-t-elle, faussement vexée.

Elle se dirige vers la porte du couloir, portant Agiel dans ses bras, mais commence à tituber. Elle manque de s'écrouler et s'appuie contre la paroi pour garder son équilibre. Elle est tellement exténuée qu'elle a l'impression que l'immeuble tout entier va s'effondrer.

« C'est la première fois de ma vie que je me sens aussi épuisée... balbutie-t-elle. Qu'est-ce que...

- Ne t'inquiète pas, rassure-t-il. Va dormir... Et bonne nuit.

- Hmph, j'te dis même pas merci, minus », raille-t-elle, un sourire triomphant au visage, avant de quitter la pièce.

Al subit le même problème. Il tente de se concentrer sur sa bande dessinée, mais n'y arrive pas. Il essaie de forcer, mais n'y gagne qu'une épouvantable migraine. Sans s'en rendre compte, il s'assoupit. Il se relève quelques secondes plus tard, mais somnole à nouveau. Cela se reproduit plusieurs fois. Il saisit un piment sur la table de salon, et mâche l'épice, puis avale.

Il a aussitôt la bouche et la gorge en feu. Il se retient de tousser, mais a le visage rouge, laissant échapper quelques gouttes de sueur. Mais il a obtenu l'effet escompté : se débarrasser du sommeil.

Du moins, temporairement.

Il se dirige par la suite vers la chambre de Cammy, qui est fermée. Il s'apprête à ouvrir la porte, s'imaginant le scénario qui se produirait si heureusement, il s'inquiétait pour rien :

Cammy, en pyjama, qui rougirait et crierait d'embarras, avant de le gifler et de lui hurler dessus :

« Dégage, saleté de pervers ! ».

[...]

Cependant, ce n'est pas le scénario optimiste qui se produit. Dès qu'il ouvre la porte, il tombe sur un individu, possédant de longs ongles, comparables à des griffes, qui étaient à quelques millimètres de trancher la gorge de Cammy, profondément endormie sur le sol, à côté d'Agiel.

« Je me disais bien que ce n'était pas normal... », constate Al, sur le qui-vive, face à son nouvel ennemi.

***
* Nouilles instantanées : dans le jeu vidéo "Undertale", les nouilles instantanées rapportent 90 points de vie quand le protagoniste les mange crues.

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