Chapitre 40 : Le déclic

Suite à la rébellion de Marshall, Liz accepta d'accueillir Daisy, malgré leur manque de moyens.

Daisy passa trois semaines en leur compagnie. Marshall était très peu loquace, voire distant. Malgré sa carapace, il faisait preuve d'une hospitalité exceptionnelle. Liz était la plupart du temps de mauvaise humeur, hurlant sur tout ce qui bougeait. Cependant, elle savait se montrer tendre et se comporter comme une grande sœur envers l'adolescente. La jeune fille les affectionnait beaucoup. Grâce à l'habitude, elle parvenait à communiquer avec eux, non sans peine.

Marshall et sa sœur quittaient l'immeuble aux aurores pour aller travailler, et revenaient souvent très tard. Alors, elle passait quasiment toutes ses journées seule, à l'appartement.

Un soir de week-end, elles étaient de retour au domicile. Daisy tremblait de manière inquiétante. L'on aurait cru qu'elle sortait d'une salle de torture.

« Bah tu vois ! s'exclama joyeusement Liz, balançant du bras le sac contenant leurs courses. Je t'avais dit que le boucher n'allait pas te transformer en saucisse !

— Tu... tu as raison... balbutia timidement Daisy.

— Au fait, tu devrais en avoir marre de manger de la viande séchée tous les jours, non ? Ça ne te dirait pas, un peu de chair crue ? » suggéra-t-elle, le plus calmement possible.

La jeune fille hocha positivement de la tête. Elle n'était aucunement lassée de cet aliment, mais n'osait pas contester.

Elles commencèrent un peu plus tard à dîner. Marshall était sans doute en mission, et n'avait pas précisé l'heure à laquelle il reviendrait. Alors, il était inutile de l'attendre.

Liz lui posait quelques questions sur ce qu'elle avait fait pendant la journée, en semaine. Ce n'était pas un riche sujet de conversation, car elle ne passait son temps qu'à faire le ménage, lire et jeter un coup d'œil à la télévision.

Soudain, elles furent interrompues par la porte de l'appartement, qui se fit fracasser. Un individu, qui n'était pas inconnu à Daisy, entra.

Ses yeux furent exorbités en apercevant son père. Liz fulmina et commença à rugir. Daisy n'eut même pas le temps d'avertir la jeune femme de la dangerosité de l'individu, que Mr. Brown la balaya en un coup.

Il les avait guettées en les apercevant par hasard dans la rue.

La grande sœur était au sol, inconsciente. Marshall était absent. Daisy était seule, face à son bourreau. Son cœur battait la chamade. Elle ne put réagir. L'être vorace se jeta à nouveau sur elle et la mordit au bras.

Elle pensait s'en être débarrassée, mais cette douleur insoutenable n'avait cessé de la traquer : la souffrance aussi bien physique qu'émotionnelle, de se faire déchiqueter par son père.

Elle hurla de toutes ses forces pour demander de l'aide. Mais personne ne vint. Une main veineuse scella ses lèvres, l'empêchant de crier au secours une nouvelle fois.

Ses deux bras furent rongés jusqu'aux os. Le supplice commença à lui faire perdre connaissance. Mais ce qui l'étonna, c'est qu'elle n'était pas la seule à pleurer. Mr. Brown partageait ses larmes. Elle comprit qu'il n'était plus qu'un esclave de ses désirs.

Il commença à la mordre au cou. L'avidité lui masquait le fait qu'il était en train de tuer sa fille.

Soudain, le regard meurtri de Daisy fut illuminé. Le jeune homme aux paupières constamment fermées fit son apparition.

Sa grande sœur avait largement dépassé une heure sans l'appeler.

« ... Tu... tu es... venu... » murmura l'adolescente, affichant un sourire mélangeant mélancolie et espoir.

Marshall bouillonnait de rage. Face au regard noir du jeune homme, Mr. Brown grogna :

« Ne me défie pas ainsi. Tu ne sais pas de quoi je suis capable ».

Le blond ne daigna pas répondre aux paroles présomptueuses. Confiant en sa capacité, le père fit apparaître une croix rouge sur le torse de son ennemi. Son pouvoir lui permettait de faire directement subir tous les dégâts de ses attaques, aux cibles qui étaient marquées par le motif. Ses coups étaient donc impossibles à esquiver et parer.

Marshall remarqua immédiatement que quelque chose était dessiné sur sa poitrine. Un symbole de gomme se dessina et effaça la croix, avant que Mr. Brown n'eut le temps de faire quoi que ce soit. Complètement déstabilisé, l'adulte eut un hoquet de surprise.

Le jeune homme enchaîna aussitôt avec un coup de poing empli de fureur. Mr. Brown perdit immédiatement connaissance.

« Vieux fou. Tu ne pouvais tomber sur un pire adversaire », cracha le vainqueur.

Marshall voyait rouge. Daisy comprit qu'il allait éliminer son adversaire.

« N-non... a-a-at-attends...

— Pardon ?! s'écria-t-il de surprise.

— C-c'est mon père...

— Tu te rends compte de ce qu'il a fait ?!

— Je sais, mais... J-je l'aime... malgré tout... ».

Il avait des poings tremblants, qui ne demandaient qu'à être tachés de sang. Cependant, il se retint. Bien qu'il ne comprenait pas les sentiments de l'adolescente, il ne voulait pas lui faire encore plus de peine. Cette dernière perdit connaissance, sous l'effet de la quantité colossale de sang perdu.

Après l'avoir soignée, Marshall attendit que tout le monde reprenne connaissance.

Lorsque Daisy se releva, elle remarqua son père, impuissant, voire intimidé par le jeune homme. Pendant qu'elle était inconsciente, le cannibale avait tenté de s'attaquer une deuxième fois à son adversaire, mais il avait trouvé son maître.

Marshall demanda à l'adolescente de lui expliquer la situation. Après avoir compris ce qui se passait, il alla prendre un couteau de cuisine. Personne, à part lui, n'osait prononcer le moindre mot. Il s'adressa à Mr. Brown d'un ton d'abord neutre :

« Que préfères-tu ? Tu le fais toi-même ou je m'en charge ? ».

Le père tremblait des lèvres. Il ne trouvait pas le courage de répondre. Alors, l'arme blanche trancha à sa place. Il se fit amputer d'un coup sec, et cria d'agonie sans retenue.

« Dis-moi... qu'est-ce que ça fait de goûter enfin à une proportion de ce qu'elle a enduré pendant des mois ?! gronda-t-il, pointant l'instrument de torture vers lui. Que les choses soient claires. Ton corps est une source infinie de nourriture, rien ne t'empêche de t'en servir. La prochaine fois que tu t'en prendras à Daisy... je te détruirai ».

Daisy était éberluée devant ce spectacle. C'était la première fois qu'elle voyait Marshall afficher une telle expression. Son courroux la fit frissonner. Il n'y avait aucun doute. Il avait donné une chance à son père, mais s'il réitérait, peu importe ses supplications, il l'assassinerait.

Mr. Brown fit la promesse de ne plus jamais s'attaquer à qui que ce soit et de prendre sur lui. Il regardait Daisy d'un air empli de regret, mais n'osait s'excuser. Lorsque son bras se régénéra, il s'en alla. Il paya par la suite, les frais pour les dégâts qu'il avait causés.

Marshall et sa sœur se mirent d'accord pour que Daisy reste à leurs côtés ; il était hors de question qu'ils la laissent retourner chez son père.

***


Les mois passèrent. La relation entre Liz et son frère ne cessait de se dégrader. Les disputes étaient fréquentes, trop fréquentes. Cela inquiétait l'adolescente, mais elle gardait l'espoir qu'ils finiraient par régler leurs différends, et repartiraient sur des bases saines.

Un matin, trois mois après qu'elle eut ses dix-huit ans, elle fut réveillée par le brouhaha d'une énième querelle.

« Je suis ta grande sœur ! T'as pas à me dire ce que je dois faire !

— Ne les suis pas ! cria Marshall, qui d'habitude, parlait toujours calmement. Ces gens vont te pourrir, plus que tu ne l'es déjà !

— Ta gueule, Marshall ! Ferme ta putain de gueule !! ».

Daisy fut attirée par les sons de leur dispute. Elle remarqua que Liz transportait une valise. Prenant son courage à deux mains, elle ne put s'empêcher de s'en mêler :

« Liz... ? Où... Où v-vas... t-t-tu ?

— Toi, ferme-là et retourne te coucher ! hurla-t-elle.

— S-s'il te plaît... ne... ne t'en va p...

— Dégage, sale pute ! ».

La jeune fille n'eut pas le temps de comprendre. Celle qu'elle considérait comme une grande sœur, fonça sur elle et pourfendit son estomac d'un coup de poing haineux. Daisy cracha du sang, avant de s'écrouler sur le ventre.

Marshall resta interdit. Jamais il n'aurait cru Liz capable d'une telle chose. La concernée regardait sa victime qui gisait sur le sol. Le bourreau écarquilla ses yeux, ayant réalisé ce qu'il avait fait.

La respiration de Liz s'accéléra. Son visage devint pâle. Le liquide rouge qui coulait de ses mains la faisait frémir.

« ... Je crois que tu as raison, finalement, accepta Marshall, d'une froideur sans précédent. Tu ferais mieux de partir ».

L'assaillante, sans dire un mot, alla laver ses mains, et d'un dernier regard lugubre, quitta l'appartement en claquant la porte.

La douleur physique n'était rien, comparée aux émotions que Daisy ressentait à ce moment-là. Elle était détruite de l'intérieur.

Le jeune homme la soigna. Les yeux noyés par les larmes, Daisy demanda :

« ... Pourquoi... ? ».

Elle ne compléta pas sa phrase, mais le blond comprit ce qu'elle voulait exprimer. Elle ne comprenait pas pourquoi tous les êtres qui lui étaient chers, finissaient par lui briser le cœur.

« Ne te laisse pas abattre, répondit-il. C'est une personne impulsive. Elle ne voulait pas te faire du mal ».

Bien qu'il tentât de la rassurer et de ne pas le laisser paraître, la jeune fille savait que Marshall n'était pas moins affligé qu'elle par les actions de sa sœur. Il tenait à elle plus qu'à quiconque.

Lorsqu'elle récupéra, le jeune homme l'invita à s'asseoir sur le sofa. Il fallait qu'ils parlent.

« Après l'attaque de ton père, introduisit-il, Liz avait compris qu'elle devait apprendre à se défendre seule. Mais j'avais pris sa détermination à la légère. Je n'avais pas beaucoup de temps pour l'aider à cause de mes missions. Alors, elle a commencé à fréquenter des personnes peu recommandables. J'ai réalisé mon erreur trop tard, elle s'était déjà laissée corrompre, et était prête à les rejoindre. J'ai voulu la raisonner, mais c'était impossible. Daisy, ça fait longtemps que j'y réfléchis. Je pense qu'il est temps... que je te dévoile mon idée ».

Elle le fixa, intriguée. Il continua :

« J'ai toujours été du genre à ne pas vouloir faire aux autres ce que je n'aimerais pas qu'on me fasse. Cependant, je ne dois pas rester les bras croisés face aux agissements de certaines personnes, quitte à me salir les mains : telle était ma façon de penser. Cependant, les individus sont extrêmement complexes. Qu'ils soient bons ou mauvais, ils sont généralement soumis à des changements, et le plus souvent, dans un sens peu souhaitable. Je ne fais pas exception à cette règle, et Liz non plus. Chercher à comprendre tout le monde n'est que perte de temps. Je ne veux plus faire la distinction entre le bien et le mal. Désormais, je suivrai une voix neutre. C'est la seule solution. Sais-tu quels sont les facteurs qui soumettent notre mentalité, notre comportement, nos idéaux, à de telles variations ? Nos émotions ».

Marshall expliqua par la suite, son plan pour neutraliser les nigh à Daisy, et le rôle qu'elle aurait à jouer.

« Je ne veux pas te forcer, appuya-t-il. Mais sans toi, il me sera impossible de mettre en pratique ce projet. Quelle que soit ta réponse, je comprendrai. Réfléchis-y sérieusement. De toute façon, je sais que je finirai tôt ou tard par croiser de nouveau la route de Liz, alors, tu n'as pas à culpabiliser pour ton père » termina-t-il d'un air grave, avant de quitter l'appartement.

Daisy resta figée pendant une minute. Elle était écrasée sous le poids de cette requête. Bien qu'elle trouvait la proposition de Marshall horrible, elle ne voulait pas dire non. Après tout ce qu'il avait fait pour elle, la jeune femme se disait qu'elle se devait de l'aider. Cependant, sa raison lui criait de ne pas accepter.

Elle suffoquait. Ses yeux meurtris sortaient de leurs orbites. D'horribles démangeaisons se manifestèrent. Pendant qu'elle se grattait la peau, son cœur ne cessait de tambouriner.

« Aide-le ! Aide-le ! Aiiiddeeee-leeeee ! »

Cette voix ne cessait de souffler ces propos dans ses oreilles. Cette guerre interne était tout simplement un supplice.

Daisy devait beaucoup à Marshall. Malgré sa froideur, il était le seul individu à ne jamais lui avoir fait le moindre mal, et à l'avoir protégée tout ce temps. Avec lui, elle se sentait comme une vraie personne. Or, un être impur comme elle, n'en était pas digne. Elle se devait d'être enfin utile à ce jeune homme, qui avait tout fait pour elle, sans rien demander en retour.

Elle céda à la voix, et adhéra au projet.

Elle commença ainsi à s'entraîner, afin de maîtriser son pouvoir. C'était un calvaire, mais sa détermination lui permettait de tenir bon. Cependant, bien que la capacité de Daisy fût la clé de son succès, il manquait un autre élément pour que le projet soit le plus efficace possible. Il leur fallait une personne qui saurait attirer les nigh dans le piège.

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