Chapitre 38 : Soumission

Petit rappel : dans les chapitres 9 et 10. Mr. Brown était le mentor de Cammy. Il a tenté de la dévorer par la force. Mais après s'être fait raisonner, il a décidé de se suicider.


***


Daisy proposa à Agiel de se rendre afin de sauver Al et Cammy. Celle-ci accepta de se livrer, mais le jeune homme demanda à l'opposante d'expliquer d'abord pourquoi elle décida d'être du côté de Skill.

***


Ils étaient liés par le sang. Elle l'aimait et il l'aimait. Tout le monde le savait. Cependant, au-delà des apparences, leur relation n'était pas aussi simple que cela.

Lorsque Daisy Brown avait cinq ans, elle constatait des faits. Son père lui montrait un amour infini. Sa mère, en revanche, était froide et distante. Chaque fois qu'elles partageaient un moment, la fillette ne recevait que négligence et mépris.

Un jour, la petite fille réclama des réponses. Elle s'adressa timidement à la conjointe de son père :

« Ma... maman ? ».

La femme l'ignora, préférant s'afférer à sa vaisselle. Seuls l'eau qui coulait du robinet, et les ustensiles qu'elle nettoyait, perturbaient ce silence gênant.

Daisy réitéra, mais n'eut aucune réponse.

Peinée par ce comportement glacial, elle prit son courage à deux mains, et continua en sanglotant :

« Maman... pourquoi est-ce que j'ai l'impression que tu me détestes... ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal... ? ».

La mère cessa de frotter le plat qu'elle lavait. Elle se retourna, dévoilant les larmes qui coulaient le long de ses joues, et hurla toute sa haine :

« Je ne suis pas ta mère, sale bâtarde !! Si seulement tu n'étais jamais née... Tu as été pondue par une jeune fille de joie, avec qui ton père me trompait. Dès le jour de ta naissance... je n'ai jamais cessé de te haïr... mais il voulait qu'on t'élève ensemble. Je l'aimais, alors, j'ai voulu lui donner une seconde chance. Mais ce salopard a recommencé son infidélité. Cette fois, c'est de trop... je ne passerai pas une nuit de plus dans cette maison. Qu'il aille courtiser toutes les filles qu'il veut ! ».

La femme, fulminante, saisit un couteau de cuisine, puis le brandit sur Daisy :

« Mais avant, sale être impur, je vais me débarrasser de toi. Disparais, déchet inutile !! ».

Dans sa rage, elle frappa de toutes ses forces, fermement décidée à assassiner la fille de son mari. Cependant, alerté par le vacarme, Mr. Brown apparut au bon moment, et attrapa l'arme. Il maîtrisa la femme, qui ne cessait de crier sa fureur.

Daisy resta interdite. Les paroles qu'elle venait d'entendre étaient plus tranchantes que mille lames dans son cœur. Frémissant de tout son corps, elle pleura, en silence. Ses yeux étaient noyés. Sa vue se brouilla. Elle serra sa poitrine, haletante. La douleur était trop intense. Ses paupières se refermèrent, lentement, et elle perdit connaissance. Ce fut la dernière fois qu'elle vit l'épouse de son père.

La petite fille reprit connaissance. Elle n'avait aucune idée du temps qui s'était écoulé. Mais elle remarqua immédiatement une chose : les bactéries qui flottaient dans l'air lui étaient visibles à l'œil nu. C'était comme si tout son corps avait subi une transformation. Elle venait d'éveiller ses pouvoirs.

Cependant, un mal de tête horrible se déclencha. Son estomac la faisait atrocement souffrir. Une angine épouvantable la saisit. Elle toussait chaque dix secondes. Elle avait la nausée. Elle ressentait une vive douleur au niveau des bras et des jambes. Elle avait l'impression que chaque vertèbre de son dos était brisée.

Tremblotante, elle tenta de se lever, mais ses membres étaient bien trop endoloris pour lui obéir. Elle s'inclina et vomit violemment sur le sol de sa chambre

Mr. Brown, interpellé par le bruit, se rua dans la pièce, et constata l'état déplorable de sa fille.

« Papa... qu'est-ce qui m'arrive... ? ».

Il comprit immédiatement. L'homme s'avança vers elle, et la prit dans ses bras.

« Daisy... sanglota-t-il, désormais, ta vie sera un enfer... mais sache que quoi qu'il arrive, je serai toujours là pour toi... ».

La malédiction de Daisy était une maladie non mortelle, mais incurable, car elle était dans l'incapacité de guérir aussi bien ses maux que ceux des autres. Ajoutée aux symptômes qu'elle avait constatés à son déclenchement, chaque cellule de son corps la faisait agoniser en permanence.

Elle maigrit considérablement. Dès qu'elle se nourrissait, son estomac rejetait l'aliment. Elle devait résister aux vomissements, afin que les organes soient contraints à digérer.

Mais à son âge, c'était extrêmement difficile à supporter. Elle fut tentée de mettre fin à sa vie, mais son père la suppliait.

« J'ai besoin de toi, implorait-il. Je ne pourrais supporter de te perdre. S'il te plaît, Daisy, vis pour moi. Je ferai tout pour te donner, ne serait-ce qu'un tant soit peu du bonheur que tu mérites. Je ferai tout pour toi ».

Pour son père, elle n'abandonna pas. Mais c'était impossible de reprendre du poids.

« Le squelette vivant », se moquaient ses camarades, à l'école.

Pour son père, elle se devait d'endurer tout cela.

Les mots que lui avait adressés l'épouse de son père l'avaient marqués plus qu'elle ne l'aurait imaginé. En effet, inconsciemment, Daisy se voyait comme un être impur. Elle se considérait systématiquement inférieure à toutes les personnes qu'elle croisait. Peu importe comment on la traitait, elle acceptait de subir.

Ne se considérant comme l'égal de personne, une « timidité maladive », comme le disaient les autres, s'empara d'elle. Elle n'osait s'adresser à qui que ce soit, et croiser le regard d'autrui, à part son père. Ses yeux étaient creux et meurtris.

Ce fut dans ces conditions qu'elle grandit.

***


Un soir, lorsqu'elle avait dix-sept ans, elle rentrait du lycée. Elle fut surprise de voir que son père l'attendait. Il avait un regard différent de d'habitude. Un regard creux et meurtri, exactement comme le sien. Cependant, les raisons étaient différentes.

« Papa... ? s'inquiéta-t-elle, qu'est-ce qui t'arrive ?

- J'ai rencontré... un jeune homme, expliqua-t-il d'un ton harassé. Daisy. Je ne peux plus manger de viande animale. Je... il m'a dit que pour atteindre l'équité, nous devons nous comprendre l'un l'autre. Pour cela, nous devons comprendre ce que ça fait d'être la proie, et non plus le chasseur. Daisy... je viens de comprendre... il m'a rendu cannibale. Depuis, j'ai une envie irrépressible de manger la chair de mes semblables.

- Comment est-ce possible ?! s'écria-t-elle, étonnée.

- Je ne sais pas. Il avait un pouvoir extrêmement étrange. Daisy... peux-tu me faire une faveur ?

- La-laquelle... ? s'effraya-t-elle.

- Je ne veux pas m'en prendre à des innocents. Je dois logiquement manger ma propre chair. Mais... tu vois, je ne suis pas encore prêt pour cela. Daisy, le temps que je le sois psychologiquement, serais-tu prête à me laisser me nourrir de ta chair... ? ».

Interloquée, Daisy ne put donner de réponse immédiate.

« Je... je te comprends, avoua-t-il. Je ne vais pas te forcer. Il n'y a aucun souci si tu refuses.

- M-Merci, papa... ».

Elle hocha timidement de la tête, avant de se retirer.

Tard la nuit, Daisy révisait pour son examen de fin de cycle. Elle était extrêmement stressée, car c'était sa dernière année, et son avenir se jouait. Elle fut interrompue dans son travail par une silhouette.

« Papa ?!

- Daisy... j'ai horriblement faim, supplia-t-il. Je... je ne veux pas te forcer, mais... ».

La lycéenne ne savait que répondre. Ses pensées sombres refirent surface. Elle était un être indésirable, un déchet de la société. Le moins qu'elle pouvait faire, était de se contraindre aux exigences des autres.

Après de longues minutes à ruminer sa détresse, elle hocha de la tête, soumise.

Sans un mot, le cannibale ne se fit pas prier et se jeta sur elle. La douleur était indescriptible. Mais elle se contenta de gémir et se laissa faire.

***


Il était devenu impossible pour elle de se concentrer. L'examen eut lieu. Elle savait, en sortant de la salle des épreuves, qu'elle avait échoué.

Les mois passèrent. Daisy vivait un enfer. Dès l'arrêt des cours, son père était devenu extrêmement vorace, et n'hésitait pas à se servir trois fois par jour. Lentement, elle commençait à sombrer dans la folie.

Chaque nuit qui passait, en plus de sa maladie, un sentiment abominable de vide l'engloutissait. Elle se recroquevillait sur elle-même, dans son lit, et pleurait toutes les larmes de son corps, jusqu'à succomber au sommeil. Tous les jours, d'horribles cernes se dessinaient sur son visage. Mais cela, Mr. Brown ne pouvait le remarquer. Son appétit sans fin le rendait aveugle.

Ne pouvant plus supporter ce cauchemar, l'adolescente se rebella subtilement :

« Papa... tu... tu n'es pas encore prêt ?

- Prêt pour ? Oh, oui. Ne t'inquiète pas, je le serai bientôt, sois patiente, feint-il.

- Papa... ça fait cinq mois que tu me dévores tous les jours... je n'en peux plus...

- Qu'est-ce que tu viens de dire ? demanda-t-il d'un ton sec, voire menaçant.

- Papa... tu m'as dit que tu m'aimes, n'est-ce pas ? Alors, ne me fais plus endurer ça... s'il te plaît... supplia-t-elle, les larmes aux yeux.

- Ce n'est pas à toi de décider ».

Mr. Brown se dirigea vers elle, le regard furieux. Ses grosses veines se traçaient sur son front.

« Tu es ma fille. Tu dois m'obéir.

- Mais papa... pense un peu à moi, je...

- Il suffit ! hurla-t-il. Ne m'oblige pas à employer la manière forte ! ».

Daisy tremblait de tout son corps. Malgré ses sanglots et sa peine parfaitement perceptibles, Mr. Brown n'eut aucune compassion. Elle tenta de s'enfuir, mais il lui saisit violemment le bras, de ses mains massives, lui couvrit la bouche pour l'empêcher de crier, et l'emporta de force.

Descendant les escaliers, il la conduisit dans une cave, la jeta au sol sans la moindre considération, puis verrouilla la lourde porte en métal d'un double tour de clé. Daisy se releva et frappa l'ouverture, criant à l'aide, pleurant son désespoir... mais personne ne vint la secourir. Elle ne pouvait se libérer, n'étant pas une guerrière.

Près d'une heure plus tard, Mr. Brown revint. Avide. Un sourire sadique sur le visage.

Daisy ne le reconnaissait plus. Il avait perdu sa personnalité. Il avait été réduit à une mâchoire ambulante.

Il marchait vers elle. Elle ferma les yeux, s'apprêtant à ce qui allait suivre. Mais contre toute attente, il déposa ses mains sur les épaules de la jeune fille. Il continua d'une voix brisée par le chagrin :

« Je... Daisy... qu'est-ce que je fais... je suis tellement désol... Non. Tu as raison, murmura-t-il à lui-même. C'est ma fille, elle doit m'obéir. Non, je... je ne peux pas continuer à lui faire ça. Je suis un monstre. Non... tu as raison. Je lui ai donné la vie. Elle n'a pas le droit de me désobéir ».

Mr. Brown poussa ensuite un cri sinistre, il semblait sombrer lui aussi dans la folie.

Terrorisée et dans l'incompréhension totale, la jeune fille tenta de se débattre, mais cela était vain. Il la mordit. Peu importe le nombre de fois, elle ne pouvait s'habituer à la douleur. Elle hurla jusqu'à s'égosiller. Mais personne ne pouvait l'entendre.

Une idée dangereuse lui traversa l'esprit. Elle usa de son pouvoir pour la première fois. Mr. Brown, pas assez vigilant, fut infecté par un virus soporifique et s'endormit.

La réaction du corps de Daisy fut extrêmement brutale. Du sang jaillit, telle une déflagration, de ses yeux, son nez, les oreilles, la bouche. Une douleur pire que celle de sa maladie parcourut tout son être. Agonisant, n'ayant plus la force de tenir debout, elle s'écroula, aux portes de la mort.

Une demi-journée plus tard, elle récupéra suffisamment d'énergie pour s'enfuir. Mr. Brown était sous l'emprise du pouvoir pour une durée indéterminée. Elle ne maîtrisait pas encore la compétence.

C'était le soir. Un froid rude l'accueillit dès qu'elle franchit la porte du bâtiment. Mais elle préférait geler, que de rester en compagnie de cet homme.

Le lendemain, elle passa la journée à déambuler dans les rues, ne sachant où aller. La faim et la température basse la torturaient. La nuit, il commença à neiger. Elle aurait tout donné pour être dans un lit chaud.

Elle vida des sacs-poubelles, et les enroula autour d'elle pour se protéger un minimum. Mais c'était loin d'être suffisant. Elle s'allongea sur le trottoir, et se roula en boule, n'attendant plus rien de ce monde. Après tout, en tant que déchet, sa place était au milieu des ordures.

Une vingtaine de minutes plus tard, un jeune blond passait par-là. Il courait en donnant des coups de poing dans le vide, pour s'entraîner. Bien qu'il avait constamment les yeux fermés, il sentit une présence. Ses oreilles lui permettaient de percevoir un souffle saccadé. Des dents qui claquaient sous l'effet du grelottement. Alors, il se tourna vers la jeune fille.

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