Chapitre 9 : Mr. Brown.

Al passe le reste de l'après-midi à faire des recherches. Il questionne des gens, visite des lieux abandonnés, mais toujours aucun résultat concernant Floyd.

Il rentre donc exténué et affamé chez lui en début de soirée. Après une petite douche et un dîner peu copieux - qui remplace le déjeuner qu'il n'a pas eu -, il allume son ordinateur portable. Il se met à rédiger la critique de la dernière bande dessinée qu'il a lue, installé sur le seul sofa de la pièce principale de son minuscule appartement, quasiment vide. Il est vraiment fatigué, mais doit attendre d'être dans son lit, ou que le week-end arrive pour se reposer. Il s'est donné un programme de publication et doit le respecter.

Il fait cependant face à un problème. Il n'arrive pas à formuler correctement ce qu'il veut écrire. Quelque chose perturbe son esprit et il n'arrive pas à se concentrer.

Il fixe à plusieurs reprises son téléphone, déposé tranquillement juste devant lui, sur sa table de salon en verre. Ce n'est pas raisonnable. Il doit terminer son texte aujourd'hui, avant d'aller dormir. La distraction est le pire ennemi du travail.

Il tente du mieux qu'il peut de se concentrer, néanmoins, il sait que s'il continue à s'obstiner inutilement, la qualité de son document sera médiocre.

Al finit par craquer. Il saisit l'appareil et envoie un message à Cammy, sur une plateforme de messagerie en ligne. Elle est justement connectée.

Al : « Hum. »

Cammy : *Distribué* *Vu* *écrit...* « T'as un sacré culot de me contacter après ce que t'as fait. »

Al : « Et toi, t'as quand-même répondu à la vitesse de l'éclair, pour quelqu'un qui est censé être en colère. »

Cammy : « Rien à voir, je réponds toujours vite. »

Al : « Si tu le dis... Tu peux m'envoyer le lien de ton article ? »

Cammy : « Hahaha, je croyais que t'en avais rien à faire ? »

Al : « J'ai changé d'avis. »

Cammy : « En plus d'être un mort-vivant, t'es lunatique, jpp. » « Compte pas sur moi, en tout cas. » « Je t'avais dit que je te pardonnerais jamais. » « GTFO*. »

Après l'enchaînement de réponses peu plaisantes de Cammy, Al tente de répondre à son tour, mais la barre de texte disparaît pour laisser place à :

« Vous ne pouvez pas répondre à cette conversation. »

Al fixe son écran pendant une bonne trentaine de secondes. Furieux, l'envie de balancer l'appareil contre le mur ne lui manque pas, mais il se retient et passe à autre chose.

En réalité, il peut trouver cet article facilement en faisant des recherches. Cependant, il voulait juste se réconcilier avec Cammy. En y repensant, il éprouve des remords pour ce qu'il lui a dit.

Considérant l'absurdité du motif de leur dispute, ainsi que celle des adolescents rencontrés plus tôt dans la journée, il est évident qu'il y a une anomalie à démasquer derrière tout ça.

Il trouve rapidement l'article qu'il cherchait et prend le temps d'analyser son contenu. Sa critique hebdomadaire peut attendre.

Al passe toute la soirée à réfléchir sur cette affaire. Il va se coucher tôt, n'ayant pas pu travailler à cause des nombreuses interrogations qui le préoccupent.

Il éteint son téléphone et le laisse sur la table de salon, ne voulant pas se faire déranger par des notifications inutiles. Puis, il se jette dans son lit pour un repos nécessaire. Dans cet état, il ne trouvera rien. Il a besoin de recul.

Le lendemain matin, Al se relève aussi tard que la veille. La ville baigne dans les rayons du soleil depuis un moment.

Le jeune homme n'est pas arrivé à dormir convenablement. Il s'est réveillé à répétitions entre de petits intervalles, dès qu'il s'assoupissait. Toutefois, une trentaine de minutes avant que son réveil ne sonne, il s'est plongé dans un sommeil profond et paradisiaque... qu'il regrette amèrement de ne pas avoir pu trouver plus tôt.

Décidant de se lever, il fixe les aiguilles de l'objet qui l'a sorti de ses rêves. Pas totalement éveillé, il est assis sur le lit et reste dans cette position pendant deux bonnes minutes. Finalement, il retourne dans la pièce principale pour prendre son téléphone.

Lorsqu'il l'allume, il constate que Cammy a encore tenté de le joindre. Il roule des yeux, se disant qu'elle est rapidement revenue sur tout ce qu'elle a pesté.

Il décide donc de la rappeler. Son téléphone sonne, cependant, elle ne décroche pas. Après treize essais, Al tombe finalement sur le répondeur. Très inquiet, il fait vite sa toilette, boit un peu de café et quitte son domicile, sans prendre de véritable petit déjeuner. Non seulement il n'a pas faim, mais ça fera également des économies.

Al se met à la recherche de Cammy dans plusieurs endroits : l'appartement de la jeune femme, les rues du quartier de son immeuble, l'espace vert, même des salles d'arcades. Il a également questionné des individus, mais sans résultat.

Au bout d'un moment, il prend le temps de retrouver son souffle et réfléchit un peu.

Pourquoi voulait-elle le contacter ? Où est-elle en ce moment ? Pourquoi ne répond-t-elle pas ?

Comme si les affaires de Floyd, Angela, et les destructions d'amitiés ne suffisaient pas. Al en a assez de tous ces mystères. Toutefois, il ne peut pas baisser les bras. Il vient d'avoir une dernière idée pour retrouver Cammy.

Que se passait-il pendant qu'Al essayait de trouver le sommeil ?

Retournons quelques heures en arrière.

***

Vers deux heures du matin, Cammy est seule dans le quartier de Disease, au nord-est de la ville. Elle est près du portail d'une maison abandonnée. L'habitation est entourée d'un mur blanc en béton, avec à l'intérieur, un gazon jauni et des petites plantes fanées. Le bâtiment a visiblement deux étages, un toit triangulaire et une cheminée. C'est l'ancienne demeure d'un homme appelé Mr. Brown.

La plupart des habitations de la zone, alignées les unes aux autres, suivent à peu près le même modèle.

Ce quartier modeste est le lieu où Cammy a grandi. Elle habitait à quelques rues de là chez un humain qui, malgré sa nature, avait gentiment accepté de s'occuper d'elle, après qu'elle se soit séparée de ses parents biologiques. Il s'agit de l'habitation dans laquelle elle avait défié Al.

C'était un quartier très animé. Elle tenait beaucoup à cet endroit. Elle dut déménager à dix-neuf ans suite à une épidémie, qui étrangement, n'avait touché que la zone.

Elle avait réussi à se faire des camarades dans son voisinage, mais pas des amis. Après que chacun eût déménagé, aucun d'eux n'était resté en contact avec elle et ils s'étaient perdus de vue.

C'est ainsi que toutes les habitations furent petit à petit abandonnées et le quartier devint désert.

L'électricité n'y passe même plus et seul le clair de lune éclaire faiblement les lieux.

Elle est revenue ici car Mr. Brown a soudainement demandé à la voir, à cet endroit, précisément. « C'est urgent », a-t-il dit, sans ajouter plus de détails. Cammy ne s'est pas posée de questions et s'y est immédiatement rendue, car elle doit énormément à cet homme.

Après l'intervention de J. lorsqu'elle avait failli se faire agresser, elle décida d'apprendre à se défendre seule. Pas uniquement pour elle, mais également pour contribuer à apporter de la sécurité dans cette ville. Pour elle, cette rencontre n'était pas une coïncidence, mais un évènement fatidique, afin de la guider vers sa voie. L'homme chez qui elle vivait la présenta ainsi à un vieil ami, Mr. Brown, afin qu'il devienne son mentor.

Mr. Brown apprit à Cammy tout ce qu'il savait. Il la guidait, l'encourageait et la motivait. Cependant, ce n'était pas facile. C'était quelqu'un d'impulsif et il s'impatientait facilement. Il arrivait qu'il bouscule la jeune fille en la grondant et en lui donnant des exercices un peu trop difficiles. Néanmoins, elle savait que c'était pour son bien.

Il avait une fille et des proches qui l'appréciaient beaucoup malgré son caractère, car il avait un bon fond.

La fille de Mr. Brown avait à peu près son âge, mais elle était distante, car très timide. Cammy avait tenté de la faire sortir de sa coquille, cependant, c'était mission impossible. Elles se séparèrent sans développer un quelconque lien.

Une voix fait sortir la jeune femme de ses souvenirs. Elle se retourne et aperçoit près d'elle son mentor.

Mr. Brown a la quarantaine. Sa très grande taille impressionne toujours Cammy. Elle se souvient de son teint basané, ce visage plutôt musclé, sa petite barbe, ce long nez, ces longs bras massifs et veineux. Cependant, elle n'est pas habituée à voir ses cheveux marron aussi touffus. Elle est interpellée par un regard creux et noirci par les cernes.

Bien que tracassée, elle fixe ses yeux marron et le salue jovialement :

« Mr. Brown ! Je suis ravie de vous revoir ! Comment allez-vous ? Et votre fille ?!

- Oh, ma petite Cammy, répond l'adulte avec un minuscule sourire, en caressant la joue de la jeune femme. Nous allons bien. Je vois que tu n'as pas du tout changé. »

- Qu'est-ce que vous racontez ? J'ai grandi, regardez !

- De quelques millimètres, oui ! »

Il rigole à gorge déployée et elle imite une moue boudeuse. Il continue d'un ton affectueux :

« Et toi, comment vas-tu ?

- Je vais excellemment bien ! répond-t-elle avec un magnifique sourire, avant que son ventre ne gargouille.

-Toi aussi, tu as faim ? », constate Mr. Brown d'un air moins amusé.

Cette dernière phrase étonne Cammy. Elle fronce ses sourcils.

« Moi aussi ? répète-t-elle. Vous n'avez pas dîné ce soir ?

- ... Oublie ce que je viens de dire. Tu peux tout me dire, tu sais. Es-tu sûre que tout va bien ? demande-t-il, inquiet.

- Oui, oui, ne vous en faites pas pour moi », affirme-t-elle en souriant de nouveau.

Mr. Brown la fixe d'un regard insistant. Elle comprend qu'il espère qu'elle lui confie ses problèmes. Son expression devient affligée et elle s'exprime d'un ton mélancolique :

« Tout va bien... enfin, mis à part que je manque grave de thune. Ou le fait que j'aie constamment la dalle, à cause de cette histoire de cannibalisme. Mais ça peut toujours être pire, alors, inutile de s'apitoyer sur mon sort.

- Tu as des problèmes d'argent... ? Tu aurais pu m'en parler. Je pourrais t'en donner un peu...

- Non, non, l'interrompt-elle en secouant sa tête. Vous en avez déjà assez fait pour moi. Et c'est pas mon genre de mendier. »

«... Mendier... ? », pense-t-elle.

C'est vrai. Elle n'aime pas demander de l'argent à autrui, alors, pourquoi en a-t-elle voulu à Al de ne pas lui en avoir prêté ?

Alors qu'elle commence à se rendre compte de l'absurdité de leur querelle, elle repense à ce qu'il a dit sur son histoire, son précieux projet sur lequel elle a travaillé si dur.

La colère monte à nouveau et elle se renfrogne.

« Un autre problème ? questionne Mr. Brown, ayant remarqué qu'elle est perdue dans ses pensées.

- C'est rien. Je repensais juste à un mec que je déteste du plus profond de mon âme.

- Je vois... dis-moi, t'es-tu fait de nouveaux amis ?

- Hein ? Non, pas vraiment.

- Alors, on peut dire que tu vis dans la solitude.

- Euhhh... oui. Mais c'est pas dramatique, j'ai l'habitude, de toute façon. »

Voyant qu'elle tente tant bien que mal de dédramatiser, Mr. Brown s'exclame d'un ton beaucoup plus léger :

« Non, il faut que ça change ! Tu es déjà adulte. Il est grand temps que tu te trouves un petit ami, que tu te maries et que tu fondes une famille ! »

Cammy rougit. Fortement embarrassée, elle s'écrie en bafouillant :

- Qu-qu-que-quoi ?!! Non, mais je-j-je, je... ! Je n'ai pas la tête à me mettre en couple ! En plus, je suis sûre que personne voudrait d'une planche à pain agaçante comme moi... ! »

Mr. Brown éclate de rire. Ce n'était qu'une blague.

C'est vrai, c'est un plaisantin qui aime mettre les autres mal à l'aise, et il réussit toujours. Très loin d'être amusée, Cammy soupire et entre dans le vif du sujet :

« Au fait, pourquoi vouliez-vous me voir ? »

Mr. Brown efface son sourire. L'air grave, il contracte sa mâchoire et prend la main de Cammy.

« Ma petite Cammy... si je t'ai demandé de venir ici, c'est pour te demander de me rendre un service.

- Allez-y ! Vous pouvez me demander tout ce que vous voulez !

- Vraiment tout... ?

- Oui ! assure-t-elle d'une ferme détermination.

- Alors... accepterais-tu de me donner... ta chair... ? »

Cammy écarquille ses yeux. C'est le premier choc. Elle n'est pas sûre d'avoir compris le sens de sa question. Alors qu'elle est déstabilisée par ses mots, Mr. Brown ne lui laisse pas le temps de se ressaisir et mord à pleine dent la main de la jeune femme, provoquant une éclaboussure qui tâche sa joue musclée.

Son bras est envahi par une douleur intense, mais elle ne crie pas, car ce n'est pas cela le pire. Lorsqu'elle voit son mentor, l'homme qui lui a tout appris, retirer sa mâchoire, se délecter de sa chair, elle ressent un choc encore plus brutal que le précédent.

Les yeux et les bras tremblants, Cammy regarde avec effroi sa main gravement blessée. La gorge nouée, elle est bouleversée à un tel point qu'elle n'arrive à produire aucun son.

A-t-il lui aussi été rendu cannibale ?

Cet homme n'a rien à voir avec le Mr. Brown jovial, au regard plein de vie qu'elle connait. Cet homme a un regard meurtri.

L'individu qu'elle a en face d'elle est rongé par la faim et est prêt à tout pour assouvir son besoin.

* GTFO : Get The Fuck Out, signifie « dégage » ou « va te faire foutre. »

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