Chapitre 5 : L'entretien (part. 2).

 J. sort de la pièce, refermant la porte derrière lui. Il repense à ce qui s'est passé un peu plus tôt.

Il pousse un long soupir, désabusé, lorsqu'il se rappelle des raisons de son retard à l'entretien.

***

Main dans la main, J. et l'enfant traversent les rues de la ville, jusqu'à arriver à l'entrée d'une ruelle déserte.

Ils s'arrêtent sur-le-champ, abasourdis par une scène qui les laisse sans voix.

Ils voient une dame en train de kidnapper discrètement un humain. Ce dernier, inconscient, se fait aspirer par un portail dimensionnel.

Les yeux écarquillés, le garçon est plus que troublé. Cette femme ne lui est pas inconnue.

Ces lisses cheveux noirs qui s'étendent jusqu'à son bassin, ces yeux verts, cette taille moyenne et ce fin et beau visage...

Ne sachant comment réagir, il prononce inconsciemment un mot :

« ... Maman... ? »

Ça lui a échappé, et il ne se rend compte de son erreur que trop tard.

Le petit blond, aux mêmes yeux que sa génitrice, dans la panique de s'être perdu, s'est approché du premier adulte qu'il a aperçu. Il n'avait pas remarqué qu'il était, en réalité, en compagnie d'un membre de la brigade.

Prise la main dans le sac par le brigadier, la mère est pétrifiée, tant elle est ébahie. Son visage se décompose ensuite d'angoisse.

Personne ne prononce le moindre mot et un silence pesant s'installe dans la ruelle. J. ne montre pas une once d'émotion. La main de l'enfant est toujours dans la sienne. Il la serre d'une pression suffisamment forte pour faire tordre de douleur le visage du garçon, qui a l'impression que ses phalanges vont être réduites en bouillie.

J. sait que la femme ne tentera pas de s'enfuir, abandonnant son enfant à son sort. Il n'a donc pas besoin de chercher à l'empêcher de s'échapper.

« Lâche-le... s'il te plaît... » supplie-t-elle.

Elle fait disparaître son portail après avoir recraché sa victime.

« Très bien », accepte J., le regard vide.

Il dégaine son sabre et le plante profondément dans le bras du petit garçon.

Terriblement affligée, la mère ressent au cœur une douleur pire que celle de son fils. J. reste parfaitement inexpressif et ne semble avoir aucune compassion. L'enfant tombe au sol, tenant son bras, hurlant et pleurant.

La femme, même si elle est peinée de le voir dans cet état, de par sa faute, prend un air sévère pour que son fils se ressaisisse et hurle :

« Qu'est-ce que tu attends ?! Enfuis-toi !!!

- Ma-maman... balbutie-t-il, toujours paralysé par la douleur, mais également inquiet pour sa génitrice.

- ... Ne t'inquiète pas pour moi... »

Elle lui adresse un sourire attendrissant et le rassure :

« À plus tard. »

Rassemblant tout son courage, l'enfant se relève donc. Il hoche la tête et prend la fuite, se vidant néanmoins de son sang.

J. et son adversaire sont face à face. Alors qu'elle s'attendait à ce qu'il se jette sur elle, celui-ci commence à parler, d'un ton moins froid qu'en présence de l'enfant :

« Il m'a raconté que depuis la mort de son père, votre famille a de sérieux problèmes financiers. En langage enfantin, ça signifie tout simplement que vous êtes très pauvres. Tu peines à le nourrir et te prives souvent de repas. En plus de ça, tu dois faire face à un tas d'autres charges. »

J. change radicalement son expression et continue son monologue d'un ton compréhensif :

« J'en déduis qu'afin d'alléger les dépenses familiales, tu as décidé d'arrêter d'acheter de la viande animale pour chasser des humains. En définitive, tu ne t'attaques pas à eux par simple gourmandise, mais à cause des contraintes liées à vos conditions de vie. Est-ce que je me trompe ?

- Et si je dis que tu vois juste... ? » confirme-t-elle, extrêmement confuse par son attitude.

L'expression de J. se métamorphose à nouveau, sous le regard déconcerté de son interlocutrice. Il reparle avec froideur, beaucoup plus implacable que précédemment :

« Alors... raison de plus pour t'éliminer. Si vous restez en vie, toi et ton fils continuerez encore et encore de vous nourrir de chair humaine pour satisfaire vos besoins. »

Il regarde le ciel, écœuré.

« Qu'est-ce que je raconte... ? De toute manière, la raison importe peu. Toi et tous tes semblables devez être anéantis, tout simplement », marmonne-t-il.

Déjà concentrée sur la bataille, elle joint ses paumes d'un air fortement déterminé et met fin à la conversation et hurlant :

« Je vois. Je savais que tu arriverais à cette conclusion. Alors viens, essaie de prendre ma vie !! »

Le regard glacial, J. non plus ne manque pas de volonté. En guise de réponse à ce cri de guerre, il fonce sur la dame en brandissant son sabre. Toutefois, avant qu'il ne puisse l'atteindre, un portail inter-dimensionnel au fond noir, de forme rectangulaire, se dresse devant lui.

S'il se fait absorber par l'attaque, il sera piégé à jamais dans une zone où règne le néant.

Il ne pensait pas que son adversaire réagirait aussi rapidement. Éberlué, il fonce à toute vitesse dans le piège. La puissance d'absorption du vortex l'empêche de faire marche-arrière et d'esquiver. Il est dans l'incapacité totale de se dégager.

La technique engloutit le corps.

Ayant senti que sa technique a fonctionné, la dame montre un vif soulagement.

« J'ai... gagné... ?

Pas vraiment, non », intervient J,. qui apparaît brusquement sur son côté.

Prise de court, elle n'a pas le temps de réagir, que J., d'un coup de poing sec, violent et précis, traverse sa poitrine et démolit son cœur.

Dans une expression de désespoir, elle s'effondre lentement sur le dos.

Elle était persuadée de l'avoir vaincu, et ne comprend pas comment il a pu se défaire de son attaque.

En effet, malgré sa vitesse, J. était pris au piège. Elle avait anticipé son mouvement. Cependant, l'efficacité d'une technique dépend de la concentration de son utilisateur.

J. a tout simplement lâché son sabre, afin que l'objet se fasse absorber en premier par le portail. Ayant senti un corps le traverser, son adversaire a pensé qu'il s'agissait du brigadier. Croyant en sa victoire, elle a relâché son attention.

Il a donc profité d'une diminution de la puissance d'absorption du vortex pour s'en extirper subtilement. Étant beaucoup plus rapide que son ennemie, il n'a eu aucun mal à lui porter un coup fatal.

« ... J'avoue ma défaite... mais je t'en supplie... épargne mon fils... La seule responsable... c'est moi... il n'y est... pour rien... balbutie-t-elle.

- Ta seule chance de le sauver était de m'éliminer. Et tu as échoué » dit-il avec une indifférence totale.

J. lui tourne le dos, et lorsqu'il essaie de s'en aller, il sent que quelque chose l'aspire de nouveau. Beaucoup plus violent que le précédent, un autre portail attire le tueur afin de l'engouffrer.

Que ce soient des blocs de terre, des débris d'immeubles ou une large nuée de poussière, tous sont dévorés par le vortex. Cependant, résiste J. à la pression. Marchant à contre-sens du portail, il est néanmoins gêné par les décombres.

Le vortex est de plus en plus violent, J. fait preuve d'une ténacité phénoménale. Quand soudain...

La mère rend son dernier souffle. Le portail disparaît, laissant des bâtiments et un sol ravagés.

J. se retourne pour lancer un dernier regard à son adversaire, qui a tout donné pour sauver sa progéniture. Il voit un visage trempé de larmes, empli de regrets et d'amertume.

Il ferme ses yeux pendant quelques secondes. Des bribes d'une conversation lui reviennent à l'esprit :

« ... Et ta mère, elle est jolie ?

- Oui !! Ma maman, c'est la plus belle et la plus formidable de toutes les femmes du monde !! »

Le guerrier rouvre lentement ses yeux. Il ne laisse transparaître aucune émotion et poursuit sa mission.

Il rattrape très rapidement le garçon en suivant les traces de sang qu'il a faites couler. Celui-ci, voyant la main sanguinolente de J., comprend que sa mère n'est plus.

Une souffrance encore plus insupportable que la douleur physique le submerge. Il fond en larmes.

La tristesse se mêle à un sentiment de terreur qui lui fait perdre la parole. Coincé contre le mur d'une ruelle, il n'y a plus d'échappatoire pour lui.

« Dans cette histoire, tu es le seul à ne pas à être blâmé, commence J. avec une voix presque clémente. Tu te nourrissais de chair humaine, mais tu n'en étais pas informé. Ce n'est absolument pas ta faute. »

Son monologue terminé, J. reprend un air impitoyable et pourfend brutalement le torse du garçon avec son poing. La bouche en sang, le regard vide, l'enfant tremble en lui adressant ses dernières paroles :

« ... Alors... pourquoi... ?

- Parce que tu es né en tant que nigh. »

Il l'a dit avec une froideur, un ton chargé d'une cruauté à en glacer le sang. Le garçon, dont les larmes ne cessent de couler, s'écroule et rend l'âme, dans l'incompréhension de l'atrocité de ce monde.

Observant le corps sans vie de sa victime, J. fixe son bras, couvert du liquide rouge. Après un long moment sans changer son expression faciale, il finit par laisser s'échapper un soupir.

Il ramène les corps à la brigade, avant de se présenter à l'entretien.

Cet homme a un but, une raison de vivre. Tant que les nigh existeront, il ne cessera de se salir les mains.

***

En repensant à ces évènements, J. est déçu. Déçu que la nature ait décidé de faire de cet enfant un nigh. Il n'avait encore rien fait, mais il finirait par grandir et devenir un être exécrable, comme tous ses semblables.

Il se doute bien que Cammy est l'une de ces créatures. Il la surveillera très attentivement pour confirmer son identité. Si elle s'avère être l'une des leurs, il n'hésitera pas la moindre seconde à la supprimer.

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