Chapitre 4 : L'entretien.

Al se rend à la brigade, afin de voir un informateur. Il rencontre J., en face du bâtiment où il travaille.

Malgré sa grande taille, proche des deux mètres, l'adulte garde une corpulence fine.

Lorsqu'Al s'approche de l'homme de vingt-sept ans, ils ne se saluent pas. Le regard froid de J. ne daigne pas croiser celui de son interlocuteur. Ses yeux marron ne fixent rien de particulier.

Le brigadier garde ses mains couvertes de cicatrices dans ses poches. Les marques de blessures sont également présentes sur son menton.

Ses longs cheveux noirs s'étendent jusqu'au bas de sa nuque et couvrent son front, ainsi qu'une partie de sa large cicatrice. Il porte dans son dos un fourreau contenant son sabre, entortillé par un fil épais le reliant à l'épaule.

« Alors, pourquoi voulais-tu me voir ? commence J. d'un ton sec.

— Tu m'as parlé d'une fillette qui avait réussi à s'échapper après avoir été capturée par la brigade, répond nonchalamment Al. Comment elle s'appelle déjà ?

— Hum ? Je t'avais pourtant donné son nom et prénom, et te l'ai même décrite. D'ailleurs, pourquoi veux-tu en reparler soudainement ?

— Je crois que je me suis embrouillé avec son prénom. C'est bien Angelica ? »

J. soupire et se tape le front. Il le corrige :

« C'est Angela... »

Al prend un air sérieux. Il exprime ses craintes :

« Depuis que tu m'en as parlé, je repense souvent à cette affaire. C'est quand-même étonnant. Que même des ados déconnent et se fassent arrêter, je peux comprendre. Mais là, une gamine... D'après ce que tu m'as dit, ça s'est passé il y a longtemps. Elle doit être adulte, maintenant. L'idée qu'une personne aussi dangereuse se promène dans la nature me donne des frissons... Au fait, elle vous a échappé comment ?

— Je n'étais pas à la brigade, à cette époque... mais on m'a dit qu'ils ont eu pitié d'elle et l'ont relâchée. »

Surpris, Al tourne brusquement son regard vers son interlocuteur et commente :

« Vraiment ?! Et c'est moi qui suis trop gentil ?!

— Tu n'y es pas du tout. Ceux qui étaient présents, en fait... ne savent toujours pas ce qui leur a pris ce jour-là. »

Tandis que J rapporte les faits d'un ton totalement neutre, Al fronce ses sourcils, fort troublé. C'est la première fois qu'il entend parler d'une personne ayant échappé à la brigade après son arrestation. Et le pire, c'est qu'elle reste introuvable, jusqu'à présent.

« Sa description physique et son nom ne sont plus très utiles, vu le temps qui s'est écoulé depuis, déduit Al. Elle n'aurait pas au moins une caractéristique qui me permettrait de l'identifier ?

— Pas à ce que je sache. En revanche, sois très vigilant à ce que tu dis et fais. C'est le seul indice que je puisse te donner ».

À peine J. a-t-il terminé sa phrase, qu'un enfant n'ayant pas plus de quatre ans s'approche d'eux en pleurant. Alors que le brigadier avait l'air le plus glacial du monde, il s'accroupit à la taille du petit et lui parle d'un ton très affectueux :

« Que t'arrive-t-il ? Est-ce que je peux t'aider ?

— Je... je me suis perdu... balbutie le garçon en tentant d'essuyer ses larmes, la morve au nez.

— Que s'est-il passé ?

— Ma mère est sortie et... explique-t-il en reniflant à chaque pause. J'ai voulu la suivre et... elle a tout à coup disparu et... je ne savais plus où j'étais... »

J. lui sourit chaleureusement.

« Je vois. Inutile de s'inquiéter. Dans quel quartier habites-tu ? Je vais t'y accompagner.

- À Flower.

— Parfait, allons-y. »

Il prend le garçon par la main, avant de continuer la discussion :

« Comment t'appelles-tu ? Quel âge as-tu ? Qui sont tes parents ? À quoi ressemble ta maison ?... Et ta mère, elle est jolie ? »

Lorsqu'il les voit bavarder ainsi, une image de Cammy se dessine dans l'esprit d'Al.

« On dirait des clones mentaux... »

***

Le temps passe...

C'est au tour de Cammy, en début d'après-midi, de se trouver face au bâtiment de la brigade. C'est ici qu'aura lieu son entretien.

Bien qu'elle ait vraiment besoin d'argent, elle est très admirative de cette organisation et a déjà envisagé d'y travailler. Cependant, elle avait peur de ne pas y être à sa place. La psychose de ses semblables l'a également faite hésiter. Néanmoins, elle a récemment décidé de prendre son courage à deux mains et d'œuvrer pour la sécurité de la ville, en barrant la route aux mangeurs d'hommes et autres criminels.

Un peu stressée, elle entre dans le bâtiment, un immeuble vitré à plusieurs étages. Elle a entendu dire que la brigade anti-nigh est une organisation atypique. Elle a beau réfléchir, elle n'a aucune idée de ce qu'ils lui réservent pour l'entretien.

Après avoir passé l'accueil, elle monte des escaliers interminables. L'intérieur du bâtiment est très éclairé. Les murs, ainsi que le sol sont d'un blanc pur. Passant par différents étages, elle voit l'indication de plusieurs salles et départements.

Certains portent le nom d'agents tels que « J »Il s'agit sans doute de son bureau. La porte menant à la pièce est fermée à clé, signalant son absence.

En parcourant les différents étages, Cammy remarque d'autres salles sur lesquelles il est marqué « Entraînement », « Armurerie », « Salle de Repos » et « Renseignements ».

La salle d'entraînement est très vaste. Dans l'armurerie, on trouve toutes sortes d'armes, comme des sabres, des haches, des bâtons, des pioches, des pelles et même des billes.

La salle de repos n'est pas très spacieuse. Elle ressemble à une bibliothèque. De nombreux livres sont disposés sur plusieurs étagères et traitent de sujets tels que l'anatomie et le fonctionnement des capacités des nigh, l'art du combat, la médecine, la stratégie et la psychologie martiale. Dans la pièce dédiée aux renseignements, on peut apercevoir des individus très concentrés derrière des écrans d'ordinateurs.

Cammy arrive à la porte d'une salle sans étiquette. La porte est en métal, impossible de voir à travers. Elle est surveillée par un homme imposant et masqué. La jeune femme suppose que ce n'est pas un endroit accessible à tout le monde et se contente de le saluer avant de continuer sa route.

L'intérieur du bâtiment de la brigade n'est pas aussi étrange qu'elle l'aurait imaginé, avec toutes les rumeurs qui circulent à leur sujet.

Cammy arrive finalement dans la salle où elle doit patienter avant l'entretien. Très tendue, elle est assise sur une chaise, dans une pièce intégralement vide. L'heure du rendez-vous est dépassée d'une dizaine de minutes déjà. Ça la fait encore plus stresser.

Un homme très grand de taille, au regard froid et aux courts cheveux noirs, coiffés vers l'avant, l'invite à le suivre.

Il s'agit de l'homme qui est à la tête de l'organisation.

Le visage dur du dirigeant, sur lequel se dessinent de larges sourcils, des yeux marron, et des lèvres charnues, ne dit rien qui vaille à Cammy. Ses joues un peu creuses attirent immédiatement l'attention de la jeune femme. Toutefois ce qui la met en état d'alerte maximale, c'est la grosse cicatrice qui s'étale de sa mâchoire à sa gorge.

Ils pénètrent dans une minuscule pièce, avec pour seul contenu, une table et trois chaises.

L'homme prend place à côté d'un individu qui n'est pas inconnu à la jeune femme.

Son visage s'illumine lorsqu'elle voit J. de l'autre côté de la table. S'il y a une personne avec qui elle serait heureuse de travailler pour l'éternité, c'est lui.

« Désolé pour l'attente, s'excuse J. d'un sourire bienveillant. J'ai eu un léger contretemps. »

Il s'explique pendant que Cammy hoche la tête pour exprimer sa compréhension.

« Tu as réussi haut la main le test des aptitudes physiques, et je trouve que tu as beaucoup de potentiel. Les questions que nous allons te poser ne seront pas bien compliquées, alors, mets-toi à l'aise et réponds sans pression, d'accord ?

— D'acc...

— Ce n'est pas une enfant, J., interrompt le chef d'un ton plus sec que l'harmatan. Assez perdu de temps. Asseyez-vous.

— M-Merci... », bafouille-t-elle en s'asseyant.

Cammy frissonne. Le ton que cet homme a employé a subitement alourdi l'ambiance. Malgré la présence de J., elle se sent très mal à l'aise. Elle s'assoit précipitamment et fait face aux deux humains.

Elle attend que quelqu'un parle, mais c'est le silence complet. S'il y avait une mouche dans la pièce, on l'aurait entendue voler.

Deux regards oppressants la fusillent. Même J. change radicalement d'expression. Il a un air aussi glacial que son supérieur.

Cette situation de calme terriblement gênante dure deux bonnes minutes, comme s'ils voulaient la tester. Le chef, les coudes sur la table, les mains croisées, plisse ses yeux.

Elle sait qu'ils savent qu'elle stresse à outrance, et ça fait déjà un mauvais point pour le test psychologique. Car, pour affronter des individus sans scrupules aux capacités imprévisibles, il faut avoir un sang-froid à toute épreuve.

« Pour quelle raison voulez-vous travailler pour nous ? », questionne le patron sans crier gare.

Le silence est rompu, en revanche, l'atmosphère n'est pas plus légère pour autant. Elle est déstabilisée par cette question soudaine, mais prend quelques secondes afin de se préparer et bien répondre.

Articulant bien son discours dans sa tête, elle répond en fixant le chef dans les yeux, voulant maladroitement montrer qu'elle n'est pas impressionnée.

« Je suis admirative du travail que vous faites pour la société. J'aimerais mettre mes compétences au service de votre organisation afin de rendre la ville plus sûre, et empêcher les nigh méchants de s'en prendre injustement aux gens, déclare-t-elle avec une forte conviction.

— Mauvaise réponse, souligne immédiatement J. d'un air impassible.

— Quoi ? s'effraie Cammy, décontenancée

— Votre seul et unique objectif doit être d'éradiquer purement et simplement tous les nigh qui existent, corrige le patron.

— D'a... D'accord. »

Elle n'en revient pas, mais tente tant bien que mal de cacher son étonnement. Elle a répondu machinalement, cependant, tout un tas de questions se bousculent dans sa tête.

Que voulait-il dire par là ?

Elle refuse de comprendre le sens de cette réponse. Cette organisation, J., ils ne peuvent pas avoir de telles pratiques. Il y a forcément une explication.

D'ailleurs, depuis quand corrige-t-on les réponses d'un candidat en plein entretien ?

« Question suivante, annonce J., la ramenant à la réalité.

— Quel est votre style de combat ? interroge le patron.

— Mon style de combat... ? » répète-t-elle pour essayer de gagner du temps et se ressaisir

Elle fait un sourire cachant très mal qu'elle est déboussolée. Elle balbutie :

« Difficile de le définir. En... en fait, mes mouvements sont inspirés de... des jeux de combat...

— Mauvaise réponse, interrompt J.

— Eh ?! s'étonne-telle à nouveau.

— Votre style de combat doit être le style d'élimination des nigh, corrige le patron.

— Je... je vois », acquiesce-t-elle à contrecœur.

La déception et la panique l'envahissent. Cammy n'ose plus regarder les hommes dans les yeux. Elle fixe le sol, le regard tremblant.

Pour quel genre de travail est-elle venue postuler ?

Cette réponse confirme ce qu'elle refusait d'admettre. Elle aimerait se lever immédiatement et fuir le plus loin possible. Toutefois, quelque chose la retient. Elle ne veut pas partir sans avoir la confirmation que tout ceci n'est qu'une farce. Elle aimerait revoir ce sourire si rassurant de la dernière fois. Retrouver l'homme qu'elle admire tant.

« Question suivante, annonce J.

— Qu'est-ce qu'un bon nigh ? », enchaîne le chef.

Toujours la tête baissée et le regard angoissé, Cammy se permet un autre moment de silence pour réfléchir convenablement. La pression que lui mettent les deux juges, en plus de ce qu'elle vient d'apprendre, la terrifient. Elle n'est pas épouvantée par l'idée d'échouer, mais plutôt par la présence des individus qu'elle a en face d'elle. Horriblement crispée, elle démarre :

« ... C'est... c'est un nigh qui ne mange pas des humains... ?

— Faux, souligne J., toujours impassible.

— Un bon nigh est un nigh mort, corrige le patron, toujours aussi monotone.

— ... Bien... » accepte Cammy, profondément chagrinée.

Les deux hommes ne lui laissent aucun répit.

« Dernière question, introduit J.

— Pensez-vous qu'un jour, les humains et les nigh pourront vivre en harmonie ? »

Cammy relève ses yeux. Elle fixe les deux juges. Elle sait déjà la réponse qu'ils attendent. Néanmoins, en dépit de la crainte qu'ils lui inspirent, prise d'un élan de témérité, elle vide son sac, la voix tremblante :

« Si je me base sur les précédentes réponses, ce que je devrais répondre, logiquement, c'est non. Mais... j'y crois, moi... en une vie en harmonie. Votre vision est stéréotypée. Parce que quelques-uns s'en prennent aux humains, vous pensez qu'ils sont tous comme ça. Tous les nigh ne sont pas des brutes qui pensent qu'à manger. Tous les nigh ne sont pas vos ennemis. Ils en existent qui...

— Sortez immédiatement de mon bureau et ne remettez plus jamais les pieds dans mon établissement », l'interrompt le chef, d'un ton dont la froideur est d'une brutalité sans nom.

Les yeux écarquillés, Cammy fixe ces yeux à la fois calmes, mais terriblement agressifs. Jamais des paroles, un regard, ne lui avaient autant glacés le sang, au point où elle ne saurait le décrire.

Elle se lève et quitte la pièce, refermant la porte derrière elle sans prononcer le moindre son. Dans les couloirs, une petite larme qui en dit long sur ce qu'elle ressent, tente de s'échapper. Elle l'essuie aussitôt. Jamais elle ne pourra oublier son échange visuel avec cet homme.

Après le départ de Cammy, J. se dirige vers la vitre et soupire, un peu navré.

« Eh bien, tu n'es pas allé de main morte avec elle, la pauvre. Ne penses-tu pas que nous en avons un peu trop dit ? fait-il remarquer.

— Pas d'inquiétude, tout s'est déroulé comme prévu, assure le patron. Elle n'en a plus pour longtemps, de toute façon. Ordonne à une personne assez compétente de faire rapidement le ménage. Ou tu peux t'en occuper personnellement, si tu le souhaites ».

J. se retourne pour faire face au regard méprisant de son interlocuteur. Il s'accorde un court moment de réflexion. Il répond finalement, sans montrer la moindre émotion :

« Très bien, dans ce cas... mission acceptée. »

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