Chapitre 3 : Nouvelle requête.

Cammy se souvient encore de ce jour.

Elle avait treize ans et avait finalement décidé de sortir pour prendre l'air. Seulement, sa promenade avait très vite mal tourné. Rien d'inhabituel, dans cette ville.

Elle était encerclée par une bande de nigh adultes dans une ruelle sombre. Elle frémissait de tout son corps. Son cœur tambourinait dans sa poitrine. Elle était pétrifiée.

« Alors... c'est toi, la gamine qui a balancé ses parents ?! grogna un des hommes.

- Je... s'il vous plaît, laissez-moi... balbutia-t-elle, coincée contre un mur.

- Tu n'es qu'une petite merde. Je vais te montrer ce qu'on en fait, des garces dans ton genre.

- Non... ! »

Fulminant, il s'approcha dangereusement d'elle. Malgré ses supplications, l'individu dangereux commença à serrer barbarement sa gorge. Manquant de plus en plus d'air, les larmes se mirent à couler. Ses gémissements et sanglots ne faisaient qu'alimenter le sadisme des criminels.

Soudain, un sabre sorti de nulle part vint se planter dans la paroi contre laquelle elle était piégée.

Tous se retournèrent, surpris.

« Vous êtes pitoyables, intervint un jeune homme. S'il y a bien des déchets ici, c'est vous.

- Merde, c'est J. !

- Qu'est-ce qu'il fait là ?! »

Il n'avait que dix-neuf ans et était déjà un membre très redouté de la brigade anti-nigh. Tous les malfrats paniquèrent. La crainte et l'angoisse se ressentaient dans leurs regards tremblants. J. marcha lentement en direction de Cammy. Comme un livre qui s'ouvre, tous s'écartèrent de son chemin.

Il déposa sa main sur les cheveux de la petite fille et lui fit un sourire chaleureux.

« Tu n'as plus rien à craindre, maintenant. Va te mettre à l'abri. »

Cammy opina du chef et s'enfuit.

J. ne retira pas son sabre du mur, il n'en avait pas besoin. Il se retourna vers ses adversaires d'un air beaucoup plus sérieux et prononça :

« Très bien. Combat engagé. »

Il terrassa les agresseurs sans aucune difficulté. Ayant compris durant l'affrontement qu'il s'agissait de nigh, il trouva un moyen de les attacher et les conduisit à la brigade. Il raccompagna ensuite la fillette à son domicile en bavardant avec elle pendant longtemps pour lui changer les idées.

Jamais Cammy ne pourrait suffisamment remercier cet homme. Si une chose était sûre, c'est que ce monde avait besoin de gens comme lui. C'est alors qu'elle décida d'apprendre à se défendre toute seule.

***

Le lendemain de leur rencontre, Al et Cammy sont installés sur un banc, dans l'espace vert. Il lui montre une carte de la ville, dont presque la moitié est cochée par de multiples croix rouges en partant du nord.

« Bon, je suis déjà passé par tous les quartiers en rouge, affirme-t-il avec nonchalance. Du coup, il faudra continuer par...

- Ce n'est pas parce que tu as déjà cherché par là, qu'il n'y est pas, l'interrompt Cammy, malicieuse. T'as peut-être mal cherché. »

Al fronce ses sourcils. Il n'est pas irrité par cette remarque, il n'a juste pas envie de perdre du temps.

« Si ça t'amuse, tu peux y retourner, rétorque-t-il. Mais si tu ne trouves rien, faudra pas se demander pourquoi.

- Ou alors, on fait un truc simple. Toi, tu cherches dans les nouveaux quartiers, et moi, dans ceux que tu as déjà explorés. Comme ça, on a moins de chances de passer à côté, propose-t-elle en lui faisant un grand sourire sympathique.

- Si tu veux... soupire-t-il. On a un point commun : la stratégie, c'est pas notre fort. »

Loin d'être agacé, il a l'habitude d'avoir une expression faciale plutôt aigrie. Ce n'est pas volontaire.

Curieux, il profite de la présence de Cammy pour lui poser une question qu'il s'est posée depuis longtemps :

« J'ai entendu dire que vous savez faire la différence entre les humains et les nigh, c'est vrai ? »

Étonnée, Cammy affiche un air inquiet.

« Ah... T'es au courant... En fait oui, c'est vrai, mais ça doit rester secret. Si les humains s'en rendent compte, ça risque de poser problème... confirme-t-elle.

- Comment ça marche ?

- C'est super simple. L'odeur. »

Il hausse un sourcil, intrigué.

« Sérieux ? L'odeur ?

- Oui ! On a un odorat un peu plus développé, explique Cammy. Les humains et les nigh ont une odeur légèrement différente. Donc ça passe crème et vous n'y voyez que du feu. »

Al caresse son menton. Un détail le fait tiquer. Il poursuit :

« Ça m'étonne quand-même que pendant tout ce temps, ça n'ait pas été découvert. Comment ça se fait ? »

Cammy bombe son torse, fière et déclare :

« Nous sommes très solidaires, tu sais. C'est un secret gardé depuis la nuit des temps, et on est très doué pour en garder, des secrets. En plus, certains sont paranoïaques et pensent que si les humains l'apprennent, nous serons tous exterminés. »

Al se tape le front et souffle. Elle ne comprend pas sa réaction, cependant, il l'éclaire sur-le-champ :

« Ça, c'est plus de la paranoïa, on est à un autre level, là. Mais restons dans le contexte. T'es tellement douée pour en garder, des secrets, que t'as cafté un secret gardé depuis des siècles à un gars que tu connais depuis moins de vingt-quatre heures. T'as envie de provoquer un génocide ? »

Elle écarquille ses yeux, réalisant sa grossière erreur. Horriblement gênée, elle rit nerveusement et tente de se rattraper :

« Mais je sais que j'ai rien à craindre. T'es un type de confiance, non.... ? »

Elle le fixe avec espoir, mais Al ne répond pas et montre un air peu rassurant. Un silence très pesant pour elle s'installe.

« ... Pas vrai... ? », insiste-t-elle, accompagnant sa phrase d'un sourire teinté d'une forte inquiétude.

Al dit rien.

« ... N'est-ce pas... ? », continue-t-elle, au bord de la panique, des gouttes de sueur commençant à couler de son front.

Al reste toujours silencieux. L'angoisse de la jeune femme atteint son paroxysme. Ses battements de cœur s'accélèrent de plus en plus. Elle ne sait plus quoi faire.

Al écarte finalement ses lèvres et lui murmure d'un air tant vicieux que calculateur :

« Vous me payez combien ? »

Elle en a assez. Furieuse, Cammy le saisit par le col, l'étranglant presque et rugit :

« T'as intérêt à fermer ton groin, est-ce que je me suis bien faite comprendre ?!!

- Ça va, pas la peine de s'emporter, je plaisantais ! », avoue Al d'un ton plus léger.

Il lève les bras en signe d'innocence et se laisse secouer le cou comme une poupée de chiffon. Ça ne suffit pas à calmer Cammy.

« Et tu te crois drôle ?!!! s'écrie-t-elle.

- Désolééééé !

- Pff, boude-t-elle en le lâchant. C'était tellement nul que tu n'as même pas rigolé, à ta propre blague.

- C'est pas comme si je pouvais. »

Cammy soupire. Tracassée, elle lui demande d'un ton grave :

« ... Dis, je peux vraiment compter sur toi... ?

- Évidemment. Qu'est-ce que je gagnerais à faire la balance, comme toi ? confirme-t-il d'un ton rassurant.

- Bien. Me voilà rassurée ! », s'exclame-t-elle en lui adressant un sourire rayonnant.

Satisfaite, son expression change abruptement. Al la regarde, déconcerté.

« Elle se sent déjà à l'abri, aussi facilement ? Sa naïveté est vraiment... spectaculaire », pense-t-il.

Il ne peut s'empêcher de balancer une remarque sarcastique :

« Tu ferais une sacrée protagoniste de shonen nekketsu*,

- Comment ça ?

- Cherche pas à comprendre. Allez, à plus. »

Il se lève et s'apprête à s'en aller. Elle se rappelle immédiatement d'une chose importante et l'interpelle :

« Eh, attends ! J'ai un entretien d'embauche, aujourd'hui. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai été virée d'un job. Alors, souhaite-moi bonne chance !

- Quoi, ton livre ne te rapporte pas assez ?

- Non... avoue-t-elle avec dépit.

- En même temps, c'est pas étonnant. »

Elle ne saisit pas tout de suite où il veut en venir. Une petite lueur d'espoir dans les yeux, elle le sollicite :

« T'as dit la dernière fois que tu l'avais lu. Alors, t'en penses quoi ? J'aimerais bien avoir ton avis.

- C'est nu... enfin, c'est pas mon genre de cracher sur une œuvre sans donner des arguments à l'appui, se retient-il. J'en ai récemment fait une critique détaillée sur mon blog. Tu peux aller voir.

- C'est vrai ?! C'est trop sympa !! s'enjoue-t-elle.

- C'est rien, à plus. »

Indolent, Al fait sortir une bande dessinée de sa poche, avant de partir. La couverte évoque quelque chose à Cammy.

« Attends, c'est Street Fighter* que t'es en train de lire, un comics ?! C'est mon jeu vidéo préféré !

- Ouais. Quoi, tu n'étais pas au courant que ton jeu préféré avait une adaptation en comics ? parle-t-il sans détourner les yeux de son livre.

- Non... »

Un détail dérange Al. Il plisse ses yeux et questionne d'un air suspicieux :

« Dis, est-ce que tu lis souvent ?

- Non, lâche-t-elle avec indifférence.

- Juste un peu ?

- Non. »

Il souffle, exaspéré.

« Comment tu peux prétendre écrire une histoire, si tu lis rien ? blâme-t-il.

- Bah, j'ai besoin d'aucune source d'inspiration, tout vient de là, se vante-t-elle en pointant son crâne.

- Lors d'une interview, tu répondras quoi si on te demande quels auteurs t'ont inspiré ?

- Bah personne. C'est original comme réponse, non ? s'amuse-t-elle.

- Non, c'est débile. Déjà, commence par lire des trucs qui font dans le même style de récit que toi pour comprendre comment ça marche. Après, tu peux aussi lire ma review, mais je te préviens, ça ne sera pas beau à voir. »

Cammy voit enfin ce qu'il essayait de dire. Elle s'énerve et lui crie dessus :

« Tu insinues que j'écris de la bouse ?!

- Ça m'étonne que tu ne l'aies pas compris plus tôt.

- Quand mon livre sortira en physique, compte pas sur moi pour te l'offrir. Tu devras payer comme tout le monde ! rage-t-elle.

- Ok. Et bonne chance pour ton entretien... », dit-il avec une totale indifférence avant de s'éclipser.

***

Sur sa route, Al relit le dernier chapitre de sa bande dessinée d'une main, tout en buvant son café à emporter de l'autre. Marchant à un rythme rapide, sur une rue goudronnée noire de monde, il est tellement plongé dans sa lecture qu'il ne prête pas attention à la foule.

Il se heurte à une jeune femme tout aussi inattentive que lui, et sa boisson se renverse elle.

« Ma robe !! hurle-t-elle, extrêmement contrariée.

- Ah... désolé... », prononce-t-il avec apathie.

Il prend le temps de détailler rapidement la demoiselle : une jeune adulte aux courts cheveux blonds, yeux bleus, un peu plus grande de taille que lui, le visage marqué par des cernes. Son regard semble profondément extenué.

... Voire aussi mort que celui du jeune homme.

Il s'apprête à continuer son chemin.

« Pas si vite !! riposte-t-elle en lui saisissant vigoureusement le bras. Tu crois que je vais te laisser filer aussi facilement, avec un désolé si niais ?! »

Elle imite le « désolé » avec l'expression blasée d'Al. Ce dernier se renfrogne et hausse le ton :

« J'ai dit que j'étais désolé, tu veux quoi de plus ?

- Non mais tu te prends pour qui ? S'il y a une personne qui devrait s'énerver ici, c'est moi ! »

Indignée, elle s'emporte et Al voit venir une dispute imminente. Cependant, ce qu'elle a dit le laisse pantois. Il souligne sur-le-champ :

« Tu... ne sais pas qui je suis ?

- Non ! T'es une star, c'est ça ?

- ... Euh... non, absolument pas. Je suis un mec... rien de plus normal... »

Son piètre jeu d'acteur rend la jeune femme dubitative. Elle hausse un sourcil, néanmoins, il reprend avant que ça ne parte en querelle :

« Écoute, je suis vraiment désolé. Si je peux te rendre un service pour me faire pardonner... »

Les propos du jeune homme semblant sincères, la jeune femme se calme.

« Je peux te demander tout ce que je veux ?

- Euh... seulement dans la limite du possible. »

Elle souffle et prend quelques dizaines de secondes pour réfléchir, avant de se décider :

« Donc... t'es prêt à regarder un film avec moi ?

- Un film... ? Tu cherches à me draguer, là ?! »

Al est abasourdi par cette demande. C'est la dernière chose à laquelle il s'attendait, de la part d'une personne qui lui en voulait il y a un instant. Bien qu'elle soit charmante et ait des formes généreuses, il n'est guère intéressé.

« Bien-sûr que non ! Qu'est-ce que je trouverais à un type comme toi ? crache-t-elle avec mépris.

- Tu me rassures... Alors, c'est d'accord. Quel film tu veux regarder ?

- Très bien ! Alors, regardons Island's Passion ! propose-t-elle en commençant à s'enthousiasmer et abandonner son air accusateur.

- Hum... j'en ai déjà entendu parler. C'est un film de romance, non ? Ça dure combien de temps ?

- Quatre heures, quarante-sept minutes, dix-neuf secondes. »

Les yeux d'Al sont exorbités, tant il est abasourdi par cette longueur inédite. Il change immédiatement d'avis.

« Non, refuse-t-il, catégorique. Ne compte pas sur moi. Fais-moi un procès pour ta robe si tu veux, mais ça sera sans moi.

- Pourquoi ???

- Parce que j'ai autre chose à faire, tu vois ? » finit-il en reprenant sa route.

Offusquée, elle persiste :

« Tu me l'avais promis... »

À l'entente de sa voix dépitée, Al se retourne.

« Tu m'avais promis qu'on le regarderait ensemble... » réitère-t-elle en jouant sur un ton mélancolique qui a l'air de fonctionner.

Al est pris de remord.

Toutefois, il roule des yeux, lassé du fait qu'on profite de sa gentillesse. Il se ressaisit rapidement :

« Il va falloir revoir le dialogue, parce que je ne me souviens pas avoir prononcé une telle réplique.

- ... Tu... tu as raison... »

Elle lui tourne le dos, profitant du fait qu'Al ne la voit pas pour jouer sur le ton exagérément triste de sa voix :

« Désolée... »

Elle imite même un reniflement et part à un rythme lent, espérant une réaction de la part d'Al.

Il la regarde prendre congé et s'en veut à nouveau. La jeune femme marche de plus en plus lentement, attendant qu'il la rappelle.

Néanmoins, il ne se passe rien.

Al soupire et reprend sa route, devant la réaction étonnée de la comédienne qui bouillonne de colère :

« C'est vraiment pas sympa de ma part, mais je ne peux pas me permettre de perdre autant de temps... Tiens, maintenant que j'y pense... un de mes abonnés m'avait demandé de parler d'un film, mais il n'était plus dispo dans mon magasin habituel. Peut-être que... après tout, on ne perd rien à essayer. »

Al rattrape la blonde et pose sa main sur son épaule. Elle rouspète aussitôt :

« Je ne te permets pas de me toucher !!

- Désolé. Je connais pas ton prénom, et j'avais pas envie de crier « meuf ! » au milieu de cette foule pour t'interpeler... se défend-il.

- Qu'est-ce que tu veux ?

- Un compromis. T'as le film Blood D ? Il ne dure qu'une heure.

- Mais c'est un film d'horreur !! Ça n'a rien à voir avec celui que je t'avais proposé avant ! »

Malgré son ton hostile, Al reste impassible et poursuit tranquillement :

« Tu l'as ou pas ? »

Elle souffle bruyamment et enchaîne, fort mécontente :

« Évidemment que je ne l'ai pas !! »

Al s'y attendait, alors, il termine calmement :

« Ah... pas de chance. En même temps, le contraire m'aurait étonné. »

Il n'attend pas sa réaction et tourne ses talons. Voyant l'indifférence totale de ce dernier, la jeune femme se mord le pouce et ravale sa fierté. Elle le rappelle et avoue à contrecœur :

« Attends, je l'ai !! »

Al s'arrête net, se retourne énergétiquement et s'exclame, ébahi :

« Qu'est-ce que tu dis... !?

- Je l'ai acheté... il n'y a pas très longtemps...

- Ça, c'est un giga coup de bol. Je veux bien le regarder avec toi dans l'après-midi, ça te va ?

- Pourquoi pas maintenant ? Qu'est-ce qui me fait croire que tu viendras ? »

Elle le dévisage, suspicieuse. Al lève alors son pouce et affirme d'un ton qui se veut rassurant :

« Je te le promets. Et je tiens toujours mes promesses, c'est mon nindo*.

- Ton quoi ?? »

Il ne prête pas attention à l'air confus de la jeune femme.

« Ne cherche pas à comprendre. De toute façon, ce film sera le sujet de ma prochaine review. Alors, j'ai intérêt à me pointer, tu ne crois pas ? argumente-t-il, essayant d'être convaincant. Donne-moi ton adresse. Au fait, tu t'appelles comment, la cinéphile ? »

- Agiel » prononce-t-elle, décontenancé.

Le marché conclu, il la salue et retourne vaquer à ses occupations.


* Shonen : mangas ayant pour ciblage une tranche d'âge d'adolescents .

* Nekketsu : style de récit très codé où le personnage principal est généralement un adolescent naïf.

* Nindo : terme employé par les personnages du manga ''Naruto'' désignant leurs valeurs, principes.

* Street Fighter est une série de jeux vidéo éditée par Capcom.

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