Chapitre 27 : Flower.

Al profite de son week-end pour recharger ses batteries.

Le matin, en début de semaine, il se rend chez Agiel, qui voulait le voir. Celle-ci vient lui ouvrir nonchalamment la porte. La première chose qu'il remarque lorsqu'il la voit, sont ses cernes habituels sur le visage.

« Tu n'as pas l'air très en forme, balance-t-il en guise de salut. Je parie que tu n'as pas très bien dormi.

- C'est si évident que ça ? » ironise-t-elle.

Elle lui fait signe d'entrer et ils vont dans la cuisine. Al constate qu'elle n'est pas très matinale. Elle a à peine commencé à prendre son petit déjeuner, alors que cela fait un bon moment que le soleil est très hautement perché dans le ciel. Mais un autre détail retient son attention.

« Du lait ? fait-il la remarque en dirigeant son regard vers le bol qui en est rempli. Tu as un autre invité ?

- Mais non, c'est pour moi.

- Tout le monde pense que vous ne pouvez manger que de la viande... C'est quoi le délire ? demande-t-il avec surprise.

- Ne vous êtes-vous jamais demandé comment on se nourrissait quand on était nouveau-nés ? Bien-sûr, il faut que ça soit parfaitement naturel, comme du lait vache, qu'on peut consommer à partir de douze mois. Donner du lait industriel à un nourrisson est un moyen très efficace de l'empoisonner.

- Je vois... J'aurais dû être plus attentif pendant mes cours de biologie.

- Tu penses que ton amie peut toujours en boire ?

- Faut pas trop rêver de la part de Floyd ».

Elle fait un soupir de compassion et ouvre un tiroir dans lequel se trouve une boîte de café.

« Tu as acheté du café ? s'étonne Al.

- Oui. Vu que tu bois comme un trou, je me suis dit que ça t'arrangerait peut-être quand tu serais de passage. D'ailleurs, je vois que tu es devenu inséparable avec ton cadeau, constate-t-elle en faisant un minuscule sourire qui n'efface pas la fatigue sur son visage.

- Mouais. J'ai déjà mangé avant de venir, mais franchement, ça ne serait pas de refus ».

Il prépare la boisson chaude dans sa tasse ahegao et s'assied paresseusement sur une chaise de la table à manger.

Comme repas, Agiel prend en plus du lait, un autre bol contenant du sang frais de bovin, dans lequel baignent de petits morceaux de viande graisseux. Elle plante sa fourchette dans les bouts de chair sanguinolents, qu'elle conduit dans sa bouche avec un manque de vigueur tel, qu'Al n'a rien à lui envier.

En silence, les deux individus avalent leur nourriture sans la moindre vivacité. Lorsqu'elle termine avec la viande, Agiel boit le sang restant à même le bol, telle une soupe, puis s'attaque au lait.

Maintenant qu'elle a absorbé les nutriments nécessaires pour bien débuter la journée, elle invite Al à sortir.

Elle lui demande d'observer brièvement les lieux. La première chose qui interpelle le jeune homme, c'est le calme de la zone. Il est déjà venu ici à plusieurs reprises, mais cet endroit, à chaque fois, est d'un silence glaçant.

« Je suppose........ ? dit-elle, atone, s'étirant longuement tout en baillant. Que tu as vu mes messages ?

- Waw, on ne dit pas que les aliments nous apportent de l'énergie ? dit-il avec sarcasme.

- Tu parles. Là, je me sens plus lourde comme une baleine qu'autre chose, essuie-t-elle une petite larme du coin de l'œil.

- Je vois... Oui, j'ai reçu tes messages ce matin. Désolé. Le week-end je coupe tout contact avec le monde extérieur pour me reposer.

- En dormant et en te goinfrant toute la journée ?

- Exactement ».

Un moment de silence survient avant qu'Agiel ne reprenne la parole.

« ... Bon, on a assez perdu de temps, commence-t-elle d'une voix plus vigoureuse et sérieuse. Comme je t'en ai informé, l'homme dont je te parlais est de retour. Mais si je t'ai demandé de venir, c'est pour te demander... Disons, de l'aide. J'ai longuement réfléchi avant de te solliciter, parce que je ne voulais pas te mêler à tout ça... Mais je ne peux plus supporter de continuer ainsi. Qu'as-tu remarqué en observant ce quartier ?

- C'est une zone fantôme, résume-t-il rapidement, ne faisant pas preuve de plus de tonus.

- C'est cela. Je ne vais pas tourner autour du pot. J'ai tué la majeure partie des habitants de cet endroit ».

Les yeux d'Al sont exorbités. Il la fixe d'un air déconcerté.

« Pas littéralement, précise-t-elle. Laisse-moi t'expliquer. Mais je vais devoir utiliser des détours pour que ce soit plus clair.

- ... Je t'écoute, plisse-t-il ses yeux.

- Lorsque ma meilleure amie est morte, comme tu le sais, j'étais emplie de haine, mais surtout de solitude. Pour atténuer tous ces sentiments, la première solution que j'ai trouvée n'était pas de briser des amitiés partout pour me venger, mais d'aider les gens qui ressentaient un mal, exactement comme moi. J'ai toujours été passionnée par l'étude du comportement des individus, et passais mes journées à lire des ouvrages sur la psychologie. Je me suis dit que je pourrais essayer. Je n'ai jamais fait d'études dans le domaine. Je n'ai pas de diplôme, et ne suis pas réellement une professionnelle. Alors, je ne suis pas vraiment en mesure d'exercer ce métier.

- Ah... D'où le ''plus ou moins une psychologue''...

- Effectivement. Cependant, malgré mon manque d'expertise, je me suis lancée à vingt ans. J'ai réussi à avoir quelques patients, car un nigh ne peut se permettre d'aller voir un vrai professionnel. Il se ferait très rapidement démasquer. Bien-sûr, les patients ne tombaient pas du ciel, j'ai eu du mal à ce que leur nombre augmente, étant donné que je suis dans le secteur informel. Mais cela n'avait pas tellement d'importance. Les rares personnes qui venaient me voir retrouvaient peu à peu le sourire. Mes méthodes étaient efficaces, et même si je n'effaçais pas leurs problèmes d'un coup de baguette magique, ils allaient mieux. Je n'avais pas besoin d'argent, leur simple satisfaction me comblait.

- Mais avoue que tu ne refusais pas un pourboire.

- Bien-sûr que non », esquisse-t-elle un petit sourire.

Ils s'échangent un clin d'œil furtif.

« Au fil du temps, ma réputation s'est agrandie, continue-t-elle. Les patients devenaient de plus en plus nombreux, réguliers. C'est ainsi que j'ai rencontré Daisy. Tout allait bien, jusqu'au jour où j'ai rencontré un homme. Il n'était pas venu me voir car il avait un problème particulier. Il était venu m'exposer son plan. Il avait besoin de personnes qui l'aideraient à le concrétiser, et Daisy et moi en faisions parties. C'est là qu'il m'a vaguement parlé de Floyd, et des motivations pour lesquelles il s'était lancé dans ce projet.

- C'est qui ce type ? Quel est son projet ? commence-t-il à être intrigué.

- On le surnomme ''Skill''.

- Qu'est-ce que vous avez tous à vous inventer des surnoms ? C'est quoi son prénom ?

- Aucune idée. Il ne parle pas beaucoup de lui. Il ne me voit que pour parler de son projet. Son objectif est tout simplement d'empêcher les nigh de nuire. Pour cela, il a élaboré un plan terriblement efficace qui se déroule en quatre étapes. La première : je reçois des patients et traite leur problème. Daisy intervient dans la seconde. Son concept est celui de la maladie. Elle peut créer tout type d'infection que son imagination lui permet. Ainsi, vers la fin de la séance, je propose au patient une bouteille d'eau infectée par un virus qu'elle a créé. Ce virus a pour effet de détruire progressivement la capacité d'un individu à éprouver des sentiments. La troisième étape, attendre. Si la maladie avait un effet immédiat, le plan tomberait à l'eau. C'est pourquoi le virus infecte très lentement, est contagieux, et ne peut infecter que les nigh. Ainsi, peur, colère, amour, haine, joie, bonheur, affection, tout cela est progressivement réduit à néant. Au bout de six mois, le processus est terminé. Le patient devient une coquille vide. Toutes les actions que nous menons, aussi bien positives que nuisibles, sont dictées par nos sentiments. Un individu qui n'est pas capable d'en ressentir ne pourra jamais commettre de crimes. Ce quartier est composé à près de quatre-vingt pour cent de nigh, et tous sont déjà infectés ».

À l'entente de ces propos, Al écarquille ses yeux, aussi bien de fureur que de stupeur. Ce qu'ils infligent à ces gens lui rappelle sa propre malédiction, à la différence qu'eux, ne peuvent même pas ressentir d'émotion négative.

« Tu veux donc dire que ce quartier est aussi calme parce que plus de la moitié de ses habitants est devenue des tas de chair sans âme ?!!! bouillonne-t-il de rage.

- C'est cela, confirme-t-elle avec tristesse. J'ai perdu tous les amis que je m'étais faits au cours de ces deux années de travail...

- Pourquoi vous obéissez à ses ordres ?!

- Parce que nous n'avons pas le choix ! Je ne fais pas le poids face à ce type. Soit je fais ce qu'il me demande, soit il s'en prendra à Daisy et la remplacera par quelqu'un d'autre avec un pouvoir similaire !! C'est la seule amie qui me reste... Je ne pourrai pas accepter de la perdre elle aussi... confesse-t-elle, la voix larmoyante. J'ai perdu mon seul moyen de réconfort, alors je me suis laissée dominer par mes pulsions et ai commencé à me venger sur les humains en brisant leurs amitiés...

- ... Je comprends mieux l'histoire, contient-il sa colère. Et c'est quoi la dernière étape ?

- Le massacre. Les trois premières étapes concernaient les nigh qui n'avaient encore rien fait de mal. Il s'agissait là de prévenir au lieu de guérir, pour ne pas les tuer injustement. Mais quant à ceux qui sont reconnus comme des criminels, Skill et ses hommes les assassinent sans scrupule.

- Ce n'est pas le job de la brigade ça ?

- Si, mais les humains qui maîtrisent le Drive sont très peu nombreux. Alors ils manquent parfois d'effectifs. C'est pourquoi Skill préfère les éliminer pour qu'on n'ait pas à déplorer des victimes dues à une intervention trop tardive de la brigade.

- Je vois. Tu peux compter sur moi. Tous tes voisins redeviendront comme ils étaient, affirme Al avec une ferme détermination.

- ... Merci, Al... lui fait-elle un sourire baigné d'affliction.

- Tu me remercieras plus tard. Commence par me donner toutes les infos que tu as sur ce Skill... ... Encore une fois, il fallait qu'elle se jette dans la gueule du loup... », soupire-t-il.

Il n'y a pas la moindre seconde à perdre. Il faut qu'ils mettent fin aux agissements de cet homme, avant qu'une jeune femme naïve ne tombe dans son piège.

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