Chapitre 21 : Rôles (part. 2).

Il n'y eut pas de combat, car il élimina les deux criminels sans leur laisser le temps de se défendre. Il leur offrit une mort très rapide, car les torturer pour se venger n'aurait servi à rien.

Déçu de ses anciens compagnons, il voulut quitter la pièce. Cependant, il fut interpellé par un détail. Eva, qui avait une expression d'effroi malsaine, avait les larmes aux yeux après sa mort. Son visage manifestait une tristesse profonde.

Cela étonna Jonathan. Néanmoins, loin de se laisser apitoyer, il s'en alla sans prendre la peine de toucher à leurs cadavres, pour lesquels il n'éprouvait que du dégoût. Il passa par des ruelles sombres pour ne pas être vu avec ses mains teintées de sang, et rentra chez lui.

Après les avoir lavées, il alla voir tante Mary. Celle-ci était comme à son habitude dans l'atelier, assise sur une chaise, dans une petite pièce où elle s'isolait derrière son écran d'ordinateur pour travailler. Il tapa à la porte, avant d'entrer.

Jonathan ne dit rien et se contenta de prendre sa tante dans ses bras. Il sanglota. Il ne pouvait même pas imaginer à peine ce qu'Eva lui avait fait endurer. .

« Jonathan... prononça la femme, ne t'inquiète pas pour moi. Je finirai par aller mieux. Un jour, je pourrai répondre à tes questions...

— Tu es libre, désormais, affirma-t-il en se détachant d'elle. Tu n'as plus à porter ce fardeau.

— Que veux-tu dire ? Tu es au courant que c'est Eva qui... ? »

Elle écarquilla ses yeux de surprise. Si elle pouvait enfin en parler, ça signifiait qu'Eva n'était plus.

« Jonathan ! Ne me dis pas que tu as... ! s'écria-t-elle, inquiète.

— Elle n'a eu que le sort qu'elle méritait. Cette fille était le diable en personne !

— Je sais, mais... »

Mary était au bord des larmes. Malgré tout ce qu'Eva avait fait, une part d'elle l'aimait toujours.

« Tu sais, continua-t-elle, ton oncle avait toujours voulu avoir des enfants. Malheureusement, je ne pouvais pas lui en donner. C'est pourquoi nous étions heureux de compter Eva dans notre famille. Elle était la fille que nous n'avions jamais eue... ! Mais maintenant, elle aussi... »

Jonathan était abasourdi. Comment pouvait-elle être autant attachée à ce démon ?

L'adolescent grinça des dents. Il ne pouvait pas comprendre cet amour insensé et aveugle.

« Je suis désolé, Tante Mary, mais je ne regrette pas de l'avoir envoyée en enfer. »

Il faussa ensuite compagnie à sa tante, affligée par les évènements.

Quelques dizaines de secondes plus tard, Mary entendit des bruits dérangeants. On aurait dit des fracas d'objets.

Elle se précipita vers l'origine du brouhaha et aperçut Jonathan, dans la chambre d'Eva, en train de détruire tout ce qui s'y trouvait.

Table de bureau, armoires, chaise, vêtements, il ravageait tout, tel un cyclone.

« Mais arrête, enfin !! intervint Mary, dont la voix était à peine audible. Tu déranges tout le voisinage !!

— Écoute. Tu dois avoir une bonne idée de ce que je ressens, là, maintenant. J'aurais pu boire ou fumer pour oublier, mais c'est ça que j'ai choisi pour me défouler. Alors, ne t'en mêle pas !!! » hurla-t-il de rage, avant de se mettre à démolir le lit de la fille qui l'avait mis dans cet état.

Mary n'insista pas et le laissa faire. Elle n'était pas habituée à ce que Jonathan lui parle ainsi. Alors, ça signifiait que ce qu'il ressentait était vraiment grave.

Le fou furieux s'en prit ensuite aux peluches de la défunte. Il les déchirait une à une, jusqu'à tomber sur l'une d'entre elles, qui lorsqu'elle se fendit, dévoila un carnet précieusement caché à l'intérieur.

Sans réfléchir, Jonathan saisit l'objet dissimulé et voulut lui arracher toutes ses feuilles. Il se fit cependant interrompre par Mary :

« Attends ! Ne le déchire pas sans l'avoir lu !

— Qu'est-ce que j'en ai à faire, de ses notes ?!

— S'il était caché à l'intérieur d'une peluche, c'est qu'il contient sûrement des informations importantes.

— Je ne veux rien savoir d'elle, tu m'entends ?! Rien !!!

— Détruis tout ce que tu veux, cependant, donne-moi d'abord cet objet.

— Mais...

— C'est un ordre », dit-elle calmement, mais d'un ton autoritaire

Il avait beau ressentir toutes les émotions du monde, Jonathan n'était pas un adolescent désobéissant. À contrecœur, mais sans contester, il remit le bloc-notes à sa tante, avant de continuer son carnage. Il pensait que Mary voulait désespérément s'accrocher à un souvenir futile.

Le lendemain matin, même si la douleur le torturait toujours, il était un peu plus lucide. Mary tapa à la porte de sa chambre, avant d'entrer :

« J'aimerais que tu lises ce que raconte ce carnet.

— Je veux l'oublier, la faire disparaître de mon esprit pour l'éternité. Alors, non merci, refusa-t-il sèchement.

— C'est important. Tu comprendras certaines choses.

— Comprendre quoi ? Qu'est-ce qu'il y a à comprendre ?!

— Tu découvriras par toi-même. »

Elle avait une patience à toute épreuve. Elle se contenta de déposer tranquillement le carnet sur le lit de l'adolescent, avant de le laisser seul.

Il fronça ses sourcils et se demandait ce qu'elle voulait bien lui faire découvrir. Dans tous les cas, ce n'était pas son contenu qui lui rendrait sa petite sœur.

Après une heure à fixer l'objet, il le saisit et commença sa lecture. Non pas pour sa propriétaire, mais pour celle qui lui en avait fait la requête.

Les premières lignes l'interpelèrent immédiatement :

« C'est horrible... comment ai-je pu faire une chose aussi atroce ?! Jonathan ne me pardonnera jamais lorsqu'il découvrira que j'ai dévoré Flora. Cet être innocent que je considérais comme également ma propre petite sœur... Mais j'ai peur de me confier à qui que ce soit, sinon, c'en sera fini de moi. Alors, le seul moyen que j'ai trouvé pour atténuer mon remord... cette culpabilité atroce... est d'écrire pour moi-même, de me confier sur le papier, en espérant que ce carnet ne sera découvert par personne. »

En poursuivant sa lecture, Jonathan découvrit des caractéristiques intrinsèques aux nigh dont il n'avait jamais entendu parler, que ce soient dans des documents officiels, ou par de simples rumeurs.

Il découvrit que tout nigh, après avoir éveillé ses pouvoirs, était en perpétuel combat avec lui-même.

Quand est-ce que tout cela avait commencé ?

Suite à la mort de sa mère, Eva éveilla ses pouvoirs. Cependant, l'éveil de ces capacités fut accompagné de répercussions, aussi bien sur son corps, que sur son esprit. Tout d'abord, sa malédiction. Puis vint l'apparition de cette entité mystérieuse.

Eva était constamment poursuivie par une ombre, qu'elle était la seule à voir. Au début, elle pensait qu'il s'agissait de l'incarnation de ses pouvoirs, mais par la suite, elle découvrit qu'il n'en était rien.

L'ombre lui murmurait sans cesse des paroles malsaines. Elle la tentait en permanence, afin qu'elle fasse des choses qu'elle regretterait plus tard. Eva se rendit compte que cette ombre n'était rien d'autre qu'une partie psychique d'elle-même, imaginée par son esprit, et que tous les nigh qu'elle avait pu croiser vivaient la même chose.

***

C'est un phénomène qui s'applique systémiquement à chacun d'entre eux, et dont le point de départ est une tragédie.

À leur naissance, les nigh et les humains ont une énergie vitale identique.

Cependant, lorsqu'un nigh subit un trouble psychologique important et/ou est en danger de mort, et que dans les deux cas, il a toujours l'espoir et la volonté de vivre, ses cellules subissent des transformations importantes. Il éveille ses pouvoirs et son énergie vitale passe immédiatement Drive, lui permettant de les exploiter.

Ces changements entraînent ensuite une malédiction et l'apparition de l'ombre. Cette ombre n'existe pas, mais le nigh la voit et croit en son existence, car suite à l'éveil de ses pouvoirs, il subit une légère défaillance mentale.

C'est pour ça que les humains n'ayant pas un mental assez puissant perdent la raison lorsqu'ils s'approprient les capacités d'un nigh, et qu'aucun individu ne peut supporter plus d'une source de pouvoirs.

Ainsi, dans l'esprit du nigh et de l'humain avec des pouvoirs, l'ombre représente en réalité ses pulsions. Une fois qu'il a le mental altéré, elles deviennent insupportables et poussées à l'extrême.

Dans cet état, un individu ayant un besoin, un désir, sous les chuchotements de l'ombre, est prêt à tout pour l'assouvir, même s'il doit s'en prendre à un être qui lui est cher.

En plus, de toutes les viandes, celle des humains a de loin le meilleur goût pour les papilles gustatives d'un nigh. En goûter après avoir éveillé ses pouvoirs est comparable à consommer de la drogue, car s'ensuit une grave addiction.

***

Eva, malgré toutes les valeurs qui lui avaient été inculquées, fut tentée par Hugo, mais surtout par l'ombre, autrement dit, ses pulsions. Elle ne put y résister et goûta à un minuscule morceau. Et depuis ce jour, il n'y avait plus de retour en arrière possible.

Cependant, à chaque fois qu'elle cédait à la tentation, elle ressentait un remord encore plus insupportable. Un jour, elle mangea de la nourriture humaine en grande quantité pour se punir d'avoir accompli de tels actes. C'est pour cela qu'elle tomba malade à dix ans.

La douleur de sa maladie était devenue insoutenable. Guidée par ses désirs, elle était prête à tout pour l'atténuer. Elle entendit de la part d'Hugo, que la chair humaine renforcerait son système immunitaire, et que plus la viande de la personne qu'elle consommerait serait jeune, plus l'effet serait efficace.

C'était un mensonge, mais elle ne put pas résister aux chuchotements de l'entité imaginaire, et commit le crime.

Après sa guérison, rongée par la culpabilité, il lui arrivait de vomir lorsqu'elle repensait à ce qu'elle avait fait. Elle éprouvait tout simplement de l'écœurement envers elle-même. N'en pouvant plus de vivre ainsi, elle décida de mourir entre les mains de son bien aimé. Telles furent les dernières lignes de son carnet :

« Jonathan a énormément progressé, aucun doute là-dessus. Cependant, il éprouve beaucoup trop de compassion envers ses adversaires. Je ne peux pas m'empêcher de craindre le jour où il périra à cause de ce comportement. Il ne me reste plus qu'une chose à faire. Je vais réveiller la haine qui dort en lui. C'est le seul moyen pour qu'il soit capable de survivre et de protéger Mary. Je vais lui avouer nos crimes de la pire des manières possibles. Vu qu'Hugo n'est pas très intelligent, je vais lui faire croire que nous avons piégé Jonathan pour le manger. Il tombera sans doute dans le panneau. Quant à Patty, cette fille qui capture des enfants pour les donner en pâture à des nigh en échange d'argent, je vais faire croire à Hugo qu'elle nous a trahis. Il me croira sûrement, car il ne lui a jamais fait confiance. Ça fera d'une pierre deux coups. Nous aurons chacun le sort que nous méritons et Jonathan en sortira, j'espère, avec la mentalité nécessaire pour venir à bout de ses futurs ennemis... J'aurais tant aimé être la mère de ses futurs enfants. Toutefois, je ne le mérite pas. Tout ce que je mérite, c'est une mort dans le plus grand des déshonneurs. Pendant tout ce temps, j'ai fait vivre un véritable cauchemar à Mary par lâcheté, et je n'ai jamais osé lui demander pardon. J'espère que Jonathan prendra soin d'elle, et qu'ils finiront par trouver la paix qu'ils méritent. »

Jonathan comprit qu'Eva usait de ses pouvoirs d'actrice pour jouer la comédie. Derrière ce visage vicieux, se cachait un être torturé.

Sur le coup, il ne savait que penser, ni que ressentir. Il alla tout d'abord récupérer le corps d'Eva et l'enterra. Puis, il décida de garder son carnet, duquel il ne se débarrassa jamais. Des jours passèrent. Un sentiment de vide perdurait en lui.

Un jour, il prit finalement une décision.

Il rejoignit Mary, comme d'habitude dans son atelier, carnet en main.

« As-tu terminé ta lecture ? commença-t-elle calmement.

— Depuis longtemps... répondit-il, d'un ton meurtri.

— Alors... que comptes-tu faire, maintenant ?

— Je vais les exterminer... tous, jusqu'au dernier » déclara-t-il, sans la moindre hésitation.

Mary fut surprise par la brutalité de ses paroles.

Jonathan continua d'un ton respectueux :

« Si tu trouves que j'ai tort de prendre une telle résolution, si tu as une autre opinion sur le sujet, dis-le-moi. Je suivrai la voie que tu jugeras meilleure. »

Mary eut un moment d'hésitation. Néanmoins, bien qu'elle trouvât son objectif horrible, elle se prononça :

« ... Non... Cette idée ne m'enchante pas... cependant, je ne pense pas qu'il y ait de meilleure solution. »

Elle fit signe à Jonathan de s'approcher, ce qu'il fit. Elle posa tendrement sa main sur la joue de son neveu. Elle sourit mélancoliquement, avant de poursuivre :

« Nous savons tous à quel point le métier que tu souhaites exercer est difficile et dangereux... Chaque jour, tu devras faire face à la mort. Cependant, je sais que c'est une voie qui te tient à cœur, alors, je ne peux m'y opposer... Mais promets-moi juste... promets-moi juste que tu reviendras toujours en vie... Il ne me reste plus que toi. Je ne supporterai pas de te perdre... »

Les joues de Mary se mouillèrent. Jonathan les sécha affectueusement et affirma, conscient de ce que ses futures décisions impliqueraient :

« Je te le promets... Un jour viendra, où nous pourrons vivre ensemble en paix... Je donnerai tout ce que j'ai pour ça. »

Car c'était l'ultime souhait de sa défunte bien aimée.

Jonathan savait que pour atteindre son but, il devrait assassiner des hommes, des femmes, des enfants... dont certains seraient volontairement des crapules, et d'autres, des individus déjà, ou futurs prisonniers de cette spirale infernale qu'étaient leurs pulsions. Sa mission était de mettre un terme à tout cela.

Néanmoins, une telle tâche allait à l'encontre de sa nature. Il devait se forger mentalement pour ça. Après de longs mois d'entraînement, tant bien physique que psychologique, il finit par arriver à la conclusion que pour accomplir sa mission, il devait jouer un rôle, comme Eva. Il décida de créer un personnage.

C'est ainsi que naquit J.

J. est un humain qui éprouve une haine infinie envers les nigh, et dont le seul but est de les exterminer.

Jonathan décida d'abandonner son humanité et épousa le rôle de J. Il était dorénavant prêt à commettre les pires horreurs pour atteindre son but.

À dix-huit ans, il intégra la brigade. L'homme qui lui avait parlé du Drive, actuellement à la tête de l'organisation, fut impressionné par sa volonté, plus flamboyante que jamais.

Jonathan frôla la mort à plusieurs reprises, cependant, sa détermination lui permettait de toujours venir à bout de ses adversaires.

C'était évident qu'il avait un talent remarquable. À dix-neuf ans, il était déjà un membre très redouté de la brigade et portait le chiffre trois.

Il devint par la suite chef des unités de patrouille et bras droit du maître de l'organisation, qui avait une confiance totale en lui.

***

Cependant, Jonathan n'est pas un bon comédien. Il arrive que sa réelle personnalité et J. se croisent dans son esprit, ce qui donne lieu à des conversations étranges où il crache sa haine des nigh, sans pour autant montrer le moindre signe de répulsion. Au lieu d'éliminer son adversaire sans réfléchir, il tente de discuter avec lui pour essayer de le comprendre.

Néanmoins, au final, toutes ses cibles finissent par être assassinées. Car, afin que sa tante puisse un jour vivre en paix, et que les pulsions destructrices des nigh ne fassent plus de victimes, Jonathan et J. ne reculeront devant rien.

***

« Tu sais désormais qui je suis, termine Jonathan.

— Alors, en fait... tu fais tout ça pour nous libérer de nos pulsions... ? conclut Cammy, d'un sourire triste.

— Je te l'ai déjà dit, conteste-t-il, n'essaie pas de trouver une excuse à mes actes. Je suis une pourriture qui agit de façon égoïste. »

Toujours le sourire aux lèvres, Cammy devient de plus en plus transparente, jusqu'à disparaître.

J. ouvre brusquement ses yeux. Il a l'impression d'être sorti d'un long rêve.

Face à lui, se tient à peine debout Cammy, les larmes aux yeux. Elle semble avoir réellement vécu ses souvenirs, et ressenti toute la douleur qu'il éprouvait.

Jonathan ne faisait pas que raconter un monologue, et encore moins rêver.

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