Chapitre 20 : Rôles.

À environ dix-sept ans, grâce à son entraînement rigoureux, Jonathan avait atteint un niveau satisfaisant. Il avait même postulé pour la brigade, dont l'âge de ses membres importait peu, du moment qu'ils étaient assez compétents et avaient la bonne idéologie. Il réussit l'épreuve des aptitudes physiques, cependant, il fut rejeté lors de son entretien. Il avait beau réfléchir, il ne comprenait pas ce qui lui manquait.

À cet âge, Jonathan n'éprouvait pratiquement plus aucune rancœur envers les nigh. La cause de cela était Eva. Il ne pouvait plus haïr aveuglément les semblables de la personne qu'il aimait.

En plus de ça, il s'était lié d'une amitié solide avec un nigh nommé Hugo. C'était un ami d'enfance d'Eva, et ils fréquentaient le même lycée.

Tout ça était bien beau, mais quelque chose inquiétait la jeune fille.

Ils étaient au bord d'une ruelle sombre et un individu prenait la fuite, après que Jonathan l'ait épargné.

« Il a essayé de tuer une femme, blâma Eva. Pourquoi le laisser s'échapper, alors que tu as gagné ton duel ? Toutes ces années d'entraînement, n'était-ce pas pour venir à bout des nigh dangereux comme lui ?!

— Ce n'était pas de sa faute, répliqua-t-il naïvement. Il venait de se fiancer avec cette fille. Il lui a avoué qu'il était un nigh et elle l'a traité de monstre, avant de le quitter. Fou de rage, il a voulu se venger. C'est pas vraiment quelqu'un de mauvais. Je suis sûr qu'il a retenu la leçon et ne va plus s'en prendre à elle. »

Eva soupira.

« Dis-moi, Jonathan... pourquoi as-tu échoué lors de ton entretien ?

— Après que j'aie répondu aux questions, le patron m'a dit que je n'avais pas la bonne mentalité, et que je pourrais réessayer lorsque j'aurais une meilleure opinion.

— Tu n'as toujours pas compris où il voulait en venir ?

— Pas vraiment. »

Eva secoua sa tête en signe d'exaspération et ils rentrèrent chez eux. La flamme de la vengeance, qui brûlait en Jonathan, s'était éteinte petit à petit. Il n'avait pas une vie de rêve, cependant, la haine qui le consumait s'était apaisée.

Plusieurs jours passèrent, durant lesquels, il profitait de chaque instant passé auprès d'Eva.

Un jour, elle lui demanda de la suivre dans un lieu. Apparemment, elle voulait lui montrer quelque chose. Ils arrivèrent à la porte d'un bâtiment abandonné dans leur quartier. La construction en béton avait visiblement trois étages et était entourée d'une grande cour, verrouillée par une porte métallique très rouillée. Les murs fissurés témoignaient que plus personne ne l'entretenait depuis longtemps.

Jonathan trouvait cela étrange, mais la présence d'Eva le rassurait. Main dans la main, ils pénétrèrent à l'intérieur du bâtiment. Les lieux étaient insalubres. Ils traversèrent les étages, jusqu'à arriver au troisième, puis arrivèrent devant la porte crasseuse d'une pièce fermée.

Depuis leur arrivée dans le lieu, Eva arborait un sourire étrange. Comme si elle se réjouissait à l'avance d'une chose.

Soudain, ils entendirent un hurlement perçant. Un cri d'agonie et d'affolement.

« Eva... pourquoi m'as-tu emmené ici ?! s'inquiéta vivement Jonathan.

— Tu n'as qu'à vérifier par toi-même », répondit-elle d'un ton vicieux.

Jonathan fronça ses sourcils. Il n'avait jamais vu une telle expression sur son visage. Il ouvrit sans attendre la porte, et tomba sur une scène qui lui glaça le sang.

Hugo, son meilleur ami, était en train de dévorer vivante une jeune fille.

Sur le coup, Jonathan ne bougea pas. Il était tellement choqué, que ça le paralysa.

Il en perdit la voix, et observait juste son compagnon se délecter de chair humaine. Elle hurlait, pleurait, se débattait, appelait Jonathan à l'aide. Cependant, il fallait du temps à ce dernier pour se ressaisir.

« Hugo... qu'est-ce que tu fais... ? prononça Jonathan, d'une voix brisée.

— Il fait ce dont on a l'habitude », lui susurra dans l'oreille Eva, d'un ton maléfique.

Il écarquilla ses yeux. Jonathan, des larmes coulant sur son visage, tenta de réagir face à ces deux traitres. Néanmoins, il n'arrivait plus à bouger.

« Qu'est-ce que... ! Qu'est-ce que vous m'avez fait ?! s'écria l'humain.

— Tu es sous l'emprise de mon pouvoir, expliqua Eva. Mon concept est celui du spectateur et de l'acteur. Nous sommes les acteurs et toi, tu es le spectateur. En tant que spectateur, tu ne peux faire qu'assister à nos actes, sans possibilité d'agir. Tout ce que tu peux faire, c'est regarder. Tu ne seras même pas capable de raconter ce que tu as vu à qui que ce soit. Dès que tu essaieras, tes lèvres seront scellées. »

Pendant qu'elle expliquait sa capacité, la jeune fille rendit l'âme à cause de son cou déchiqueté.

En entendant les propriétés de ce pouvoir, Jonathan se rappela des symptômes qu'il avait remarqués sur sa tante.

« Ne me dis pas... que tu as déjà utilisé ce pouvoir sur Mary... ? déduit-il.

— Si. La pauvre. À chaque fois qu'on lui demandait ce qui était arrivé au bébé, elle ne pouvait rien dire. Tu imagines ce qu'elle a dû endurer ? Devoir vivre sous le même toit qu'une personne qu'elle ne pouvait pas dénoncer. Pas étonnant qu'elle ait tenté de se suicider.

— Tu veux dire... que... c'est toi qui...

— Non, ce n'est pas elle. C'est NOUS qui l'avons mangé », affirma fièrement Hugo.

Jonathan était détruit de l'intérieur. Impossible de décrire les sentiments qui le dévoraient, lorsqu'il se rendit compte que les responsables de la disparition de sa sœur, n'étaient autres que son meilleur ami et la fille qu'il aimait.

Il fut alors pris d'un fou rire. Une crise provoquée par le désespoir et la peine qui le rongeaient.

Ça dura pendant une bonne minute, avant qu'il ne se calme :

« Dis-moi, Eva... pourquoi... as-tu fait tout ça pour moi... ? Pourquoi m'avoir poussé à devenir plus fort, sachant que j'étais votre ennemi ?!

— Mon seul but était de te séduire pour que tu deviennes un chien fidèle qui nous protègerait aveuglement, en cas de problème avec un quelconque individu. Mais je me suis rendue compte que tu n'es qu'une mauviette incapable de se salir les mains. Tu ne vaux absolument rien, pauvre enfoiré ! » se lâcha-t-elle en crachant tout le peu d'estime qu'elle avait pour lui.

Jonathan adressa la parole à son ancien ami d'une voix faible, emplie d'amertume :

— Dis, Hugo... Tu plaisantes, n'est-ce pas... ? Vous n'avez pas touché à ma sœur, pas vrai... ?

— Montre-lui la vérité, avant qu'on ne le bouffe », rétorqua-t-il avec désinvolture.

En réalité, la fille qu'il dévorait n'était qu'un simple appât, car il fallait que la cible d'Eva visualise quelque chose, afin qu'elle soit sous son emprise. Ainsi, après l'avoir assassinée à coup de morsures, Hugo était prêt à savourer le véritable repas, qui était Jonathan.

Le pouvoir d'Eva lui permettait également de reconstituer certaines scènes du passé, afin qu'une tierce personne puisse assister au spectacle.

« Regarde, la voilà, notre petit boutchou », se moqua-t-elle.

Un rectangle de plusieurs dizaines de centimètres de long et de large se dessina et cadra la scène qui se mit en marche, telle une vidéo sur un écran.

On pouvait y apercevoir Hugo, le nourrisson dans ses bras, qui entrait dans la chambre d'Eva, lorsque celle-ci avait près de dix ans. La petite sœur de Jonathan, qui d'habitude riait tout le temps, était apeurée et se débattait dans les bras du garçon.

Celui-ci la posa sur le sol. Sans plus attendre, il la mordit à la main pour lui arracher un minuscule bout de chair. Le nourrisson cria et pleura aussi fort qu'il le pouvait, de sa petite voix.

Ce fut au tour d'Eva, malgré sa maladie, de lui mordre le pied, sous les pleurs désespérés de l'être qui venait de naitre, et qui se débattait de douleur en vain.

Mary entra aussitôt dans la chambre et resta figée. Une larme coula instantanément sur sa joue. Sous l'emprise du pouvoir, elle ne pouvait plus bouger. Eva lui donna la possibilité de parler. Cependant, sous le choc de cette scène tout simplement immonde, elle ne pouvait prononcer le moindre mot. Seuls les ruisseaux coulant sur son visage pouvaient exprimer ce qu'elle ressentait.

Les pleurs du bébé finirent par s'étouffer. Lorsqu'il finit de savourer son festin, Hugo essuya ses mains de manière effrontée sur les vêtements de Mary, totalement impuissante.

« Y a pas à dire, on peut pas trouver mieux que la chair d'un bébé ! s'esclaffa-t-il.

— Un peu de respect pour elle, quand-même... ! riposta Eva, d'une voix affaiblie.

— T'es sûre que t'es bien placée pour dire ça, après ce que tu viens de faire ??? Eh, mamie, nettoie ça. »

Celle-ci s'exécuta pour effacer toute trace de sang dans la chambre d'Eva. Elle n'a pas un contrôle total sur ses victimes. Toutefois, elle peut les forcer à agir de telle sorte qu'elles ne laissent pas la moindre trace ses actions, font disparaître toute preuve contre elle, et ainsi, restent spectatrices à jamais.

Mary dut vivre avec ce terrible secret durant de nombreuses années, ce qui fut la principale raison qui la poussa à vouloir mettre un terme à sa vie.

Après avoir découvert les atrocités que les deux complices avaient commises, Jonathan, la vue brouillée par ses larmes, hurla de douleur. Une douleur provoquée par une blessure au cœur que rien ne pourrait cicatriser.

Il se remémora toutes les fois où il lui donnait son biberon. Toutes les fois où ses minuscules doigts s'enroulaient autour de son pouce. Les petits sons incompréhensibles qu'elle émettait. Chaque fois qu'elle tentait de mettre tout et n'importe quoi dans sa bouche. Lorsqu'elle riait, pleurait, marchait à quatre pattes pour bouger dans tous les sens...

Pendant que Jonathan criait, Eva se saisit d'une hache déposée contre le coin d'un mur. Avec un large sourire aux lèvres, elle planta la lame dans le front de son bien-aimé...

Sauf que le métal pénétra légèrement dans sa chair, puis se brisa.

« Qu'est-ce que... ?! s'étonna Eva. Tu n'étais pas censé pouvoir bouger !

— Comment ça... ? répliqua l'humain, la voix larmoyante. Tu ne te rends pas compte que tu m'as toi-même expliqué la faiblesse de ton pouvoir ? Ta capacité fonctionne comme une distribution des rôles. Ceux qui jouent le rôle de spectateur ne l'endossent que parce qu'ils l'ont inconsciemment accepté, ou sont persuadés que ça ne peut pas se passer autrement. Cependant, on a la possibilité d'accepter ce rôle, ou d'en choisir un autre. Et moi... j'ai choisi celui de l'acteur !!!! »

Il leur lança un regard débordant de rage. Toute la haine qu'il avait envers les nigh se raviva brutalement.

Éberlués, les yeux exorbités, Hugo et Eva reculèrent face à Jonathan. Ils commencèrent à trembler de terreur. Il était censé être la proie, néanmoins, les rôles s'étaient inversés. Il était bien déterminé à leur faire regretter les crimes qu'ils avaient commis.

Chapitre suivant


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chapitre 80 : Le retour

Chapitre 113 : Nouvelles promesses (Épilogue 2)

Chapitre 81 : Le réveil