Chapitre 16 : Sueurs froides.

 C'est le crépuscule. Al et Agiel font face l'un à l'autre dans le jardin, pendant que la luminosité des environs diminue progressivement.

Agiel fixe son adversaire d'un air meurtrier. Rien qu'avec cet échange visuel, Al se rend compte que ses mains ont été baignées dans du sang plus d'une fois. Mais avant de se jeter sur lui, l'assassine lui adresse quelques paroles :

« Je parie que Cammy t'en veut énormément.

— Et ? réplique calmement Al.

— N'as-tu pas peur que vous ne redeveniez jamais amis ?

— Tu plaisantes ? On se connaît depuis moins d'une semaine, on n'est pas amis. Je m'excuserai autant de fois qu'il le faudra. Mais si elle ne veut plus me causer, c'est pas la fin du monde, lâche-t-il, sûr de ses propos.

— Oh... vraiment ? insiste-t-elle. Le penses-tu vraiment ? Es-tu sûr qu'elle n'a pas la moindre valeur à tes yeux ? »

Al ne comprend pas où elle veut en venir.

Cependant, tout à coup, il se sent triste. Il ne pensait pas que l'idée de perdre Cammy le ferait autant souffrir. Pourtant, c'est impossible qu'il s'attache à quelqu'un.

Agiel remue le couteau dans la plaie d'un air vicieux :

« Elle te l'a elle-même dit. Après ce que tu as fait, jamais elle ne te le pardonnera. Tout ça, c'est de ta faute. »

En plus du chagrin, Al ressent une lourde culpabilité. Comme si ses propos blessants sur son livre ne suffisaient pas, il n'a pas pu lui venir en aide lorsqu'elle avait besoin de lui, la nuit dernière. Elle a dû affronter cette énorme peine toute seule, sans soutien.

Toutes ces pensées s'entremêlent, provoquant une déferlante d'émotions négatives qui lui font perdre toute concentration.

Une ouverture.

Agiel fonce brusquement sur lui et plante sa main dans son ventre. Ses doigts sont aussi perforants qu'une lame, grâce au Drive qu'elle y concentre. Le jeune homme crache du sang et recule, pris d'une vive douleur.

Agiel ne lui laisse pas le temps de se ressaisir et continue son assaut. Ses doigts joints et tendus vers l'avant, elle le mitraille de coups aussi tranchants les uns que les autres. Il esquive, non sans mal.

Pendant un instant, l'esprit d'Al est intégralement transporté hors du duel. Sa garde est complètement ouverte. Ne manquant pas cette opportunité, Agiel incline horizontalement sa main et lui assène un coup circulaire en pleine gorge, le propulsant à plusieurs mètres.

Étalé sur l'herbe, à la porte du jardin, Al vomit à nouveau le liquide rouge, la gorge en sang. Le visage tordu de douleur, sa respiration devient saccadée, témoignant de la violence de l'attaque qu'il a encaissée.

Il se relève lentement pour se tenir à quatre pattes. Agiel fonce sur lui, le regard assoiffé de destruction et s'écrie :

« Reste là, je vais t'achever ! »

Elle s'élance vigoureusement dans les airs. En redescendant, elle incline verticalement sa main. Comme une lame bien aiguisée, l'attaque tranche le front d'Al qui s'écrase lourdement.

Plaqué au sol, son sang peinture quelques petites herbes près de lui.

Le coin reste silencieux pendant un moment. Une ambiance lugubre s'installe.

« ... Quelle déception... », lance-t-elle avec mépris.

Sans aucune considération pour le cadavre, elle se dirige silencieusement à l'intérieur de sa maison. Brusquement, une voix faible et haletante se fait entendre derrière elle, ce qui la fait sursauter de surprise :

« C'est exactement ça... le genre de phrases que l'antagoniste sort quand il pense avoir gagné... »

Le liquide rouge coule abondamment de son front, cependant, sa blessure n'est pas assez profonde. Son crâne a été épargné. Al se relève péniblement. La douleur se fait de plus en plus intense.

« Tu veux continuer... ? Dans ton état ? fait remarquer Agiel, agacée de devoir prolonger le combat.

— Avec la régénération, ce ne sont que des blessures superficielles. J'ai l'habitude... ».

Soudain, il écarquille ses yeux.

« Quoi donc ? s'impatiente Agiel.

— T'es une vicelarde... Ton but était de parasiter mon esprit avec des pensées négatives pour m'écraser facilement.

— Oui, et... ? Tu ne peux plus te battre à ton niveau habituel. Tu as déjà perdu. »

Al ne répond pas. Il touche le sang qui coule de son front avec son index. Agiel fronce les sourcils, avant de foncer sur son adversaire.

Elle effectue un redoutable coup du serpent, qui consiste à tendre sa main, les doigts joints, pour la rendre extrêmement tranchante, grâce au Drive qu'elle y concentre. Al pare l'attaque avec sa paume, se faisant transpercer. Il profite de ce contact pour toucher subtilement le poignet d'Agiel avec son index sanguinolent. Puis, grimaçant de douleur, il s'éloigne d'elle.

Il ferme ses yeux, puis les rouvre. Soudain, son regard est moins divaguant et semble se concentrer sur quelque chose de précis.

Agiel, ne voulant pas lui laisser de temps, continue l'assaut avec un nouveau coup du serpent fulgurant. Al esquive très rapidement en se baissant, les genoux pliés. Il se relève ensuite d'un geste vif et déchaîne un solide coup de tête qu'Agiel encaisse douloureusement dans le menton. L'attaque la fait voler de plusieurs mètres dans les airs. Elle retombe lourdement sur la verdure et c'est à son tour de saigner de la bouche.

« Impossible... comment as-tu fait avec un esprit aussi troublé ?! s'exclame-t-elle, ébahie

— Tu crois que je vais t'expliquer mes techniques en plein combat ? Tu t'es crue dans un manga ? ironise-t-il, pendant qu'Agiel se relève.

— Ne crois pas que tu vas t'en sortir aussi facilement !! »

Furieuse, elle fonce à toute vitesse sur Al. Le regard de ce dernier semble fixé sur un élément déterminé. Elle le harcèle de coups. Sa main droite fait des va-et-vient véloces dans tous les sens. Pourtant, aucun mouvement n'atteint son adversaire. Il esquive toutes les offensives avec une grande précision. Les yeux du jeune homme ne cessent également de se mouvoir, sans pour autant croiser ceux de son adversaire.

Que peut-il bien observer ?

Cette question hante l'esprit d'Agiel, au point où elle en perd sa concentration un instant. Al constate un léger ralentissement dans les mouvements de sa main. Il en déduit que sa garde a faibli.

Il voit une belle ouverture. Saisissant l'occasion à son tour, Al lui assène un coup de poing féroce dans la figure. Elle se fait propulser au sol, soulevant un nuage de débris et se retrouve dans un immense creux produit par le choc.

Une trace de poing sur sa joue rougie, elle recrache plusieurs dents arrachées. Du sang coule à flots de sa bouche. La douleur est tellement atroce qu'elle ferme ses yeux un instant par mégarde.

Le cadavre de son amie, affalé sur le sol de la toilette... les ciseaux rougis, l'ayant permis de trancher sa veine... les camarades qui ricanent diaboliquement... le corps de la victime refroidissant dans les bras d'Angela... les flashs des téléphones...

Revivant cette scène inéluctable... impossible à oublier... la tourmentant dans son quotidien... Agiel pousse un hurlement de désespoir. Un cri effroyable qui glace le sang d'Al.

Des larmes s'ensuivent. Des larmes perpétuelles, qui ne cesseront définitivement de couler que le jour de sa mort.

Al éprouve une profonde compassion pour elle. Il a gagné la bataille, néanmoins, voir son adversaire dans cet état ne fait que donner un goût amer à sa victoire

« Comment as-tu fait... ? Pour me vaincre... ? demande Agiel, la voix tremblante.

— ... Grâce à une technique de concentration, qui consiste à centrer son attention sur un point fixe, au milieu d'une surface, explique-t-il avec empathie. C'était mon objectif, lorsque mon doigt gauche, taché de sang, a touché ton poignet. Ça m'a permis d'y marquer un point rouge. J'ai remarqué que ton style de combat n'inclut pas de coups de pied, et que tu frappes toujours avec la droite. La tache sur ton bras a permis à mon œil d'oublier tout ce qu'il y a de superflu autour de nous, et à mon esprit de ne visualiser que ce point précis. J'ai pu ainsi suivre tous tes mouvements offensifs sans difficulté, et contre-attaquer lorsque tu ralentissais.

— C'était donc ça... » murmure-t-elle froidement.

Elle efface immédiatement la tache sur son poignet.

« Je n'arrive pas à croire que je me sois faite avoir par une astuce aussi simple. Maintenant, ton stratagème ne fonctionnera plus sur moi », termine-t-elle d'un ton sec, essuyant les larmes qui mouillaient son visage.

Sa douleur ne s'est pas estompée, cependant, sa détermination à tuer Al lui donne assez d'énergie pour se focaliser sur son objectif.

« Attends une seconde, pense Al, surpris par lui-même. Depuis quand je suis confiant, au point de croire que j'ai gagné un combat, avant même qu'il ne soit terminé... ? Au point... de dévoiler ma stratégie à l'adversaire... ? »

Ce comportement ne lui ressemble pas.

« Tu es vraiment redoutable... félicite Al, commençant à être angoissé par les talents de manipulatrice de son adversaire.

— Merci. Mais au lieu de me complimenter, tu ferais mieux de t'inquiéter pour ce que je compte faire de ton cadavre, maintenant que tu n'as plus aucun moyen de concentration. »

Al ressent tout à coup une pression énorme. Il est à court d'options, alors que son adversaire a encore sans doute de nombreux tours dans son sac.

« Si tu n'arrives même pas à me vaincre, rien qu'au corps-à-corps, que comptes-tu faire lorsque j'utiliserai mon pouvoir ? », ajoute Agiel d'un ton funèbre.

Al se sent de plus en plus acculé. Il est subitement submergé par une sensation terriblement désagréable.

Sans lui laisser le temps de s'exprimer, Agiel fonce sur lui avec la ferme intention de l'assassiner. Elle allonge sa main afin de lui porter un coup. Il la repousse d'un geste maladroit et mal maîtrisé. De son autre bras, elle enchaîne et place avec précision deux doigts écrasant l'œil gauche d'Al.

Il gémit de douleur et s'éloigne de son adversaire.

Malgré les sentiments qui bouillonnent en elle, Agiel laisse s'échapper un petit sourire condescendant.

Le sang coule abondamment de son œil crevé. La respiration d'Al s'accélère. Son cœur bat de plus en plus vite. Il regarde sa main et voit qu'elle tremble, de même que ses jambes. Il ressent une émotion qu'il n'avait pas connue depuis longtemps.

« Je ne me souviens plus de la dernière fois... où j'ai ressenti de la peur face à un adversaire... » avoue le jeune homme d'une voix frémissante, face à la suprématie psychologique de sa duelliste.

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