Chapitre 15 : Mauvaises circonstances.

Perdue dans ses pensées, Cammy ne se rend pas compte qu'elle est suivie de très près par un individu qui la surveille, depuis qu'elle a quitté le bâtiment de la brigade.

Alors qu'elle ne se doute de rien, un sabre sorti de nulle part fend brusquement l'air pour trancher sa nuque.

Extrêmement surprise par cette attaque, elle se baisse instinctivement en pliant ses genoux pour éviter le sabre, puis se relève d'une impulsion en arrière et contre-attaque avec un coup de coude. L'ennemi la repousse d'un simple revers de la main, ce qui la bouscule au fond d'une longue ruelle sombre.

Elle se retrouve coincée dans un espace étroit, formé par un assemblage de bâtiments collés les uns aux autres.

Cammy se relève, n'ayant pas tout saisi, et constate que son assaillant n'est autre que J. Elle écarquille ses yeux, mais l'étonnement se mêle au chagrin.

« Que... qu'est-ce que tu veux ?! Ça ne va pas de t'attaquer aux gens, comme ça, en pleine rue ?! » peste-t-elle.

Elle attend désespérément une explication, tout en sachant pertinemment ce qu'il veut, et pourquoi.

« Rassure-toi, réplique J. d'un ton presque amical, dénué de tout ressentiment. Personne ne passera par ici. Les nigh, de par leur avidité, sont des créatures craintes. Elles attaquent de jour et de nuit, ce qui fait que les humains font de plus en plus attention à l'endroit où ils mettent les pieds. Ils évitent les endroits sombres, où un mangeur d'homme pourrait les attaquer et les dévorer en toute tranquillité, sans que personne ne leur vienne en aide. Un endroit comme celui-ci. »

Tout ce que Cammy a compris dans ce qu'il vient de dire, c'est qu'il va pouvoir la supprimer en toute discrétion. Un ton aussi serein ne fait que rendre ses propos encore plus effrayants. Comme s'il n'éprouve aucune émotion, lorsqu'il massacre ses victimes.

« ... Et pourquoi tu veux ma peau ? Je n'ai rien fait de mal ! se défend-t-elle.

— Effectivement, j'ai pu constater que techniquement, tu n'as commis aucun crime pendant que je t'observais, avoue J. Cela dit, je peux affirmer sans aucun doute deux choses. D'une, tu es sacrément fauchée, et de deux, tu es une nigh. Nous avions déjà des doutes sur ton identité, avant que tu te présentes à l'entretien. Ton comportement lorsque nous te posions nos questions n'a fait que confirmer nos théories. Mon chef m'a donc donné l'autorisation de t'éliminer. Cependant, n'ayant pas de preuves concrètes, j'ai décidé de te donner une chance de prouver que tu n'es pas celle que nous pensions. Et après t'avoir observée, ta nature ne fait plus aucun doute.

- Et sur quoi tu te bases ?!

- Lorsque j'ai assisté à ton combat à Disease, les théories étaient quasiment confirmées, parce qu'un humain, aussi rapide soit-il, ne peut pas se téléporter, comme tu l'as fait. Cependant, je n'ai pas voulu intervenir, parce que je ne voulais pas accepter cette réalité... je refusais d'admettre que tu es l'une de ces créatures... »

Cammy remarque que la sympathie factice dans le ton de son interlocuteur disparaît, pour laisser place à de l'amertume. Elle sent qu'au fond de lui, cet homme n'a pas envie d'être là, face à elle, dans de telles circonstances.

J. et son chef avaient des doutes sur l'identité de Cammy, car elle a subtilement utilisé son pouvoir lors du test des aptitudes physiques. L'examinateur a remarqué une légère anomalie et a décidé de la rapporter, tout en précisant qu'il n'était pas sûr de ses déductions. Voilà pourquoi l'entretien de la jeune femme a été aussi cru.

« J'ai eu la confirmation de mes doutes lorsque je t'ai vue manger ton propre bras, continue-t-il.

— Et alors ?! Une humaine a bien le droit de se bouffer quand elle a la dalle, non ?!

— Oui, bien-sûr. À condition qu'elle ne se régénère pas.

— Ah... »

Elle reste muette, ayant compris qu'elle est définitivement coincée, et qu'aucun argument ne pourrait la sortir de là.

Terrifiée, elle réalise, que cet homme l'a observée pendant tout ce temps, et elle n'a jamais senti sa présence, ni su comment il la surveillait.

C'est une réponse que seul J. connaît.

Cammy veut quand-même s'assurer d'une chose, avant de commencer l'inévitable. Elle demande avec une infime lueur d'espoir dans les yeux :

« Est-ce que tu te souviens de moi... ?

— Oui...

— C'est vrai ?! »

Elle affiche un sourire naïf. Il se souvient d'elle, après tout le temps qui a passé !

« Il faut dire que tu n'as pas bien grandi. Je pensais que tu étais une petite fille innocente. Mais si j'avais su ta véritable nature, ce jour-là, je leur aurais laissé faire tout ce qu'ils voulaient de toi », lui dit-il droit dans les yeux, d'une froideur pareille que lors de l'entretien.

Le sourire de Cammy s'efface. La cruauté de ses mots lui fait énormément de peine. Lorsqu'ils se sont rencontrés, elle n'aurait jamais imaginé qu'il lui dirait un jour de tels propos, même dans ses pires cauchemars.

« Quel était ton but, en t'infiltrant à la brigade ? poursuit-il simplement.

— Rien ! J'ai bien le droit de chercher du pognon quand c'est la hess, non ?!

— Si tu le dis... je suppose que tu ne dévoileras pas tes véritables objectifs. »

J. soupire, avant de sortir une phrase...

« Ça me fait quand-même bizarre de devoir me battre contre mère nature. »

... Très peu probable.

« De... de quoi tu parles ?! s'écrie Cammy, décontenancée.

— Le vert de tes cheveux me rappelle la verdure de la terre, et le bleu de tes yeux, l'azur du ciel, affirme-t-il, songeur.

— ... Hein ?! »

Plus que troublée, elle a trouvé quelqu'un d'encore plus lunatique qu'Al.

J. caresse son nouveau sabre et change de sujet, sans exprimer la moindre émotion :

« Si je ne t'ai pas attaquée après ton combat, c'était également pour me préparer. J'ai longuement réfléchi à la nature de ton pouvoir. Tu sembles avoir une influence instantanée sur les déplacements, que ce soient les tiens, ou ceux de ton adversaire. Je me trompe ? »

Elle a failli lui dire que ce n'est pas totalement cela, mais elle se rattrape, avant de se dénoncer.

« ... Je ne vois pas pourquoi je devrais te répondre, feint-elle, crispée.

— Peu importe. Je note également que tu as une relation avec la fille qui a récupéré le corps de ton adversaire. Je vais la surveiller de très près, après m'être débarrassé de toi. »

Cammy écarquille ses yeux, horrifiée.

« Tu ne ferais quand-même pas ça ! s'exclame-t-elle.

— Tout ce qu'elle aura à faire, c'est prouver son innocence. »

Cammy est offusquée par ses propos.

« Innocence... ? répète-t-elle. Pourquoi tu parles comme si le simple fait d'être nigh est un crime ?!

— Parce que c'est le cas. Toi et chacun de tes semblables êtes des vermines qui devez être exterminées.

— Parce que nous sommes des brutes qui ne pensons qu'à se remplir le ventre, c'est ça ?!

— Parfaitement. »

Cammy grince des dents de colère, mais également d'affliction. S'il y a une chose qu'elle déteste le plus, ce sont ces stéréotypes qui mettent tous les siens dans le même sac.

« Vous cherchez aveuglement à nous décimer, sans faire la moindre distinction, sans même imaginer qu'il y ait des innocents dans le lot, et c'est nous les brutes ?!

— Épargne-moi ces discours d'indignation. Nous ne sommes pas tous pareils, dites-vous ? Cette comédie ne marche plus avec moi. Je sais à quel point vous êtes sournois. »

Il avance ses dires, toujours sans dégager une once d'émotion négative, comme s'il parlait avec une amie, ce qui énerve encore plus Cammy.

« Sur quoi tu te bases pour dire ça ?!!!

— Te répondre ne servirait à rien, puisque tu vas tout de même nier. Alors, en garde. »

Cet homme est un véritable casse-tête pour Cammy. Le ton qu'il emploie ne reflète en rien la gravité de ses propos, comme s'il ne les pensait pas.

Elle se calme soudainement. Cette réflexion lui donne une idée qu'elle exprime :

« Attends, je suis sûre qu'on t'y oblige !

— Pardon ?

— C'est ton patron, n'est-ce pas ?! Je ne peux pas croire que tu sois réellement ce genre de personnes. Tu agis comme ça parce que tu n'as pas le choix ! »

La naïveté de Cammy fait sourire J. Son sourire se transforme en rire. Puis en fou rire.

Il rigole à gorge déployée et n'arrive plus à s'arrêter, tellement le raisonnement de la jeune femme lui est comique.

Il finit enfin par s'arrêter.

« Félicitations, lâche-t-il en essuyant une petite larme. C'est la première fois que je tombe sur un adversaire aussi hilarant. Je vais te dire une chose. Je ne vaux pas mieux que les créatures que je traque. Je suis un être immonde. Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais je vais jouer le jeu et partir sur l'idée que tu penses que je suis quelqu'un de bien, parce que je t'ai sauvée, quand tu étais gamine. Alors, je vais t'expliquer qui je suis réellement, et pourqu... »

Il se fait interrompre par son téléphone qui sonne.

« Génial, il a fallu que je commence direct par le niveau difficile... » pense Cammy, en observant le brassard de J., pendant qu'il décroche.

Sur le brassard, porté par chaque membre de l'organisation, est dessiné un symbole d'aigle, au milieu duquel est marqué le chiffre trois en rouge. La créature ailée représente la liberté des individus prisonniers de la crainte des nigh, et la révolte des humains qui ne sont plus les proies, mais les chasseurs.

Les membres de la brigade sont classés par des chiffres et des couleurs, de un à quatre et du vert au rouge, montrant leur degré de compétence. Un en vert, désigne débutant ; Deux en orange, signifie standard ; trois en rouge, qualifie avancé ; et quatre, n'ayant aucune couleur, est le degré de compétence maximum. Cependant, personne n'a atteint le dernier chiffre, qui qualifie un niveau quasi absolu.

« Oui, allo ? commence J.

— On était à la poursuite de Spie, répond Barry, en panique. Il a tué Steve, ça m'a déstabilisé et il en a profité pour s'enfuir ! Je fais quoi ?! »

J. reste inerte pendant un instant. Il ne montre aucune émotion.

« ... Appelle Kerry en renfort et acculez-le, il ne doit pas être bien loin. Lorsque vous l'aurez trouvé, éliminez-le, inutile de le capturer. Je veux que ton prochain coup de fil soit pour m'annoncer sa mort, est-ce que je me suis bien fait comprendre ?!

— Compris ! » raccroche Barry.

Dès que l'interlocuteur met fin à l'appel, J. exprime une profonde amertume et serre ses poings de rage.

J. est le responsable des unités de patrouille. Steve était une nouvelle recrue, qui venait à peine d'avoir dix-huit ans. Ne le jugeant pas assez expérimenté pour aller sur le terrain, son supérieur lui proposa une formation complémentaire, afin de mieux le préparer à ce qui l'attendait. Le jeune homme, dans un excès de fougue, refusa, impatient de commencer son travail. Il n'insista donc pas, prenant en compte que son subordonné avait réussi tous les tests avec une grande facilité, et qu'il était conscient des risques qu'il encourait. C'est pourquoi le sabreur considère qu'il est le seul responsable de la mort du subalterne.

Cammy ne comprend pas tout ce qui se passe, mais n'a aucun doute sur le fait que l'appel annonçait une mauvaise nouvelle.

J. affiche un regard noir, extériorisant toute la haine enfouie en lui.

« La causerie est terminée. En garde.

— Quoi... ? sursaute Cammy, qui n'est pas prête. Tu étais censé me dire pourquoi tu es devenu méchant !

— Ah... ? Je crois que ça sera pour une autre fois.

— Mais qu'est-ce que tu veux me raconter, une fois que je serai mor... »

J. ne la laisse pas terminer sa phrase. D'un mouvement vif et extrêmement rapide, il lui donne un coup de sabre circulaire à la taille qui balaie la poussière autour d'eux.

Elle esquive l'attaque et il passe dans son dos. Mais elle constate qu'elle a une légère blessure sur le côté de son ventre. J. a clairement été plus véloce. Cette fois, il n'attaque pas pour la jauger, mais pour la supprimer. Elle a senti toute la répulsion qu'il a envers elle, dans le coup qu'il lui a porté. Elle ressent une tristesse profonde à devoir affronter cet homme dans un combat à mort. Cependant, elle n'a pas le choix, ni l'intention de se laisser faire.

Les deux adversaires se retournent pour faire face l'un à l'autre, mais Cammy n'a pas le temps d'agir, que J. lui balance cette fois un coup de sabre vertical. Encore une fois, elle évite en se décalant sur le côté, néanmoins, l'attaque est tellement rapide qu'elle lui tranche une très fine touffe de cheveu qui se disperse dans l'air. Du sang coule de son front.

Elle a de nouveau été touchée par l'attaque, mais s'en est dégagée assez rapidement pour ne pas subir de blessure grave.

J. enchaîne très vite avec un coup de pied dans l'abdomen qui la projette contre un mur de la ruelle. Il brandit ensuite son sabre et le propulse telle une lance, avec pour cible, le front de la jeune femme.

Elle fait une roulade à même le mur pour éviter le sabre, mais J. ne la laisse pas trop se mouvoir. Il intervient avec un violent coup de poing qu'elle pare avec ses deux mains. L'impact du choc la coince contre le béton qui se craquelle.

La lame est plantée à quelques centimètres d'eux, dans le mur.

Une fois qu'il l'immobilise face à elle, J. continue d'exercer sa pression sur elle, puis décroche son arme de la paroi avec son autre main. Profitant du fait qu'elle ait les bras occupés, il tente de la trancher. Toutefois, dès qu'il brandit la lame, Cammy utilise son pouvoir pour qu'il se retrouve dans la position opposée. Il fait instantanément dos à elle.

Elle profite de l'ouverture pour contre-attaquer immédiatement. Néanmoins, sans même se retourner, J. pourfend brutalement son ventre d'un coup de sabre vers l'arrière. C'était tellement véloce qu'elle n'a pas eu le temps de faire quoi que ce soit.

Du sang coule de sa bouche. Elle ressent une terrible douleur dans l'abdomen. Cammy écarquille ses yeux, tant elle est abasourdie. Elle n'a jamais vu quelqu'un réagir aussi promptement. La rumeur disant qu'il est le membre le plus rapide de la brigade est donc sans doute vraie.

J. n'est pas venu la défier sans réfléchir. Il a exploré un éventail de possibilités concernant la nature du pouvoir de son adversaire. Même s'il ne connaît pas ses caractéristiques exactes, il est prêt à déjouer tous ses tours.

Chapitre suivant


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chapitre 80 : Le retour

Chapitre 113 : Nouvelles promesses (Épilogue 2)

Chapitre 81 : Le réveil