Chapitre 13 : Seconde chance (part. 2).

Cammy rentre chez elle en fin d'après-midi. Les blessures de son cœur ne sont pas guéries, mais elle se sent un peu mieux. La douleur n'est plus aussi intense, et le trou béant provoqué par cet évènement est prêt à se refermer petit à petit.

Cependant, même si elle est prête à accepter ce qui s'est passé et à aller de l'avant, sa peine demeure et elle sait qu'elle ne disparaîtra pas de sitôt.

Elle file d'abord prendre une douche, puis s'installe devant son ordinateur portable pour y transférer les fichiers contenant le texte de son nouveau chapitre. Puis, déterminée à faire ravaler ses paroles à Al, elle relit ce qu'elle a écrit ce matin afin d'améliorer la qualité du récit. Chose qu'elle ne faisait jamais.

Environ une heure de relecture plus tard, elle entend quelqu'un frapper à sa porte. Elle est surprise, car ce n'est pas très courant que quelqu'un vienne la voir.

Elle va ouvrir et tombe sur la dernière personne qu'elle aurait cru voir. Cependant, en repensant aux derniers évènements, elle aurait dû s'y attendre.

Cammy écarquille ses yeux, traversée par une désagréable sensation, lorsqu'elle se retrouve face à face avec Daisy.

Plein d'émotions se bousculent immédiatement en elle. L'ébahissement, le regret, la peine, l'affliction... et la peur.

Cammy est nez à nez avec la fille de l'homme qui est mort par sa faute. Du point de vue de Daisy, c'est sans doute elle qui a assassiné son père.

Daisy a un regard semblable à celui de Mr. Brown. Un regard sec, creux, dénué de vie. Des yeux qui la préviennent implicitement du danger. Un regard qui crie vengeance.

Rongée par la culpabilité, Cammy n'a pas la moindre intention de se défendre. Si ôter sa vie permettrait à la jeune femme face à elle de se sentir mieux, alors, elle est prête à la lui offrir sans hésiter.

Cependant, acculée par le regard dévorant de Daisy, Cammy recule instinctivement, les pieds tremblant. Elle est prête à accepter son sort, pourtant, elle ne peut pas se permettre de mourir ainsi, sans lui avoir adressé la parole. Malgré la pression étouffante, elle tente de placer quelques mots.

Néanmoins, c'est trop tard.

Daisy se jette sur elle.

Cammy ferme ses yeux par réflexe, toutefois, ce qu'elle ressent est étrange.

Ce n'est pas un coup, ou une quelconque attaque portée afin de la détruire...

Mais des mains chaleureuses qui s'enroulent autour d'elle.

Lorsqu'elle rouvre ses yeux, ayant compris que Daisy l'a prise dans ses bras, elle entend une voix larmoyante murmurer près de son oreille :

« Je suis désolée... Cammy... je savais que mon père était devenu cannibale, et qu'il avait l'intention de s'en prendre à toi, mais... »

À ce moment-là, Cammy sent que Daisy l'étreint de plus en plus fort contre elle, et que la voix de celle-ci se brise progressivement, submergée par l'émotion et les larmes qui coulent le long de ses joues.

« Je n'ai pas eu le courage de m'interposer... J'avais peur que dans son état, il se retourne contre moi, alors, je t'ai abandonnée... J'ai été lâche... Je suis... si désolée... »

Cammy ressent dans sa voix une tristesse pire que la sienne, et surtout, un remord qui lui fait vivre un véritable supplice.

Les larmes de Daisy se mêlent à de la toux, avant qu'elle ne reprenne ;

« Et lorsque ce matin, j'ai aperçu son corps... je m'en suis débarrassée, avant que quelqu'un ne tombe dessus, de peur que la brigade ne remonte jusqu'à moi... »

Comprenant tout ce que Daisy peut éprouver à cause de cet évènement, Cammy la serre à son tour aussi fort qu'elle le peut, et répond d'un ton plein de compassion, partageant les mêmes émotions qu'elle :

« Ne t'inquiète pas... Je lui règlerai son compte à Floyd, pour qu'il ne puisse plus faire souffrir qui que ce soit d'autre...

— Je n'en doute pas... Cammy... mon père a toujours voulu être comme toi, mais sa personnalité l'en empêchait. Il te respectait et plaçait beaucoup d'espoir en toi... Peu importe les épreuves que tu traverseras, tu dois rester toi-même.

— Vous pouvez compter sur moi. Daisy, ton père a dit qu'il est désolé pour tout.

— C'est déjà pardonné... » accepte Daisy, avant d'essuyer ses larmes.

Cammy se plonge un instant dans ses pensées. Elle est actuellement confrontée à un problème de taille. Un problème qu'elle seule pourra résoudre.

***

De son côté, Al est stupéfait par les révélations d'Agiel.

« Tu es Angela ?!

— Oui, Angela Leaf. Toi aussi, tu étais donc à ma recherche ?

— ...Oui... »

Al se rend compte que l'individu que la brigade définissait comme dangereux et violent dès son plus bas âge, n'était en réalité qu'une petite fille comme les autres, devant être assassinée pour la seule raison du sang qui coule dans ses veines.

Il est dégouté d'avoir été aussi naïf, de s'être fait duper comme un abruti...

Il garde cette information dans un coin de sa tête, avant de reprendre :

« Tu as dit que tu détestes les humains pour deux raisons principales. Quelle est la deuxième ?

— Je t'ai dit que j'ai perdu mes proches à cause de la basse sécurité, n'est-ce pas ? En réalité, ce n'était pas ça la cause, mais la cruauté des humains. Lorsque j'ai réussi à m'enfuir, je voyais des ennemis partout. J'ai dû me salir les mains maintes fois pour survivre, parce que j'étais seule au monde. Du moins, c'est ce que je pensais. Je n'étais pas seule. Bien que la brigade ait œuvré afin de me faire passer pour l'individu le plus dangereux qui soit, j'avais une amie, qui elle, croyait toujours en moi. Elle n'avait pas la certitude que j'étais toujours vivante, mais elle n'a jamais cessé de me rechercher. Et lorsque nous nous sommes retrouvées, elle ne m'a pas jugée. Après tout, entre nigh, nous nous comprenions. Elle a pu convaincre sa mère de m'accueillir chez elles, et c'est ainsi que j'ai pu trouver refuge. J'ai dû rester cloîtrée entre quatre murs pour ne pas être découverte pendant de nombreuses années, mais ça ne me dérangeait pas. Parce que j'avais une vraie amie à mes côtés. »

Agiel le raconte avec une certaine nostalgie. Son regard est pensif. Ça se sent que son esprit est ailleurs pendant qu'elle parle, comme si elle revivait chaque évènement qu'elle est en train de conter.

Cependant, son regard calme et songeur se transforme subitement pour laisser place à un air chagriné. Le ton qu'elle emploie devient de plus en plus triste, confondu avec de la colère.

« ... Mais elle faisait face à des problèmes, qu'enfermée constamment, je ne pouvais connaître. Elle se sentait très mal dans son corps à cause de son surpoids, et surtout du harcèlement dont elle était victime. Les autres ne cessaient de la rabaisser à cause de son apparence. Elle vivait très souvent des phases de dépression. J'essayais du mieux que je pouvais de l'aider... J'ai naïvement cru qu'elle pouvait s'en sortir... »

Agiel s'interrompt pendant un instant dans son récit. Elle n'arrive plus à articuler correctement. Sa gorge est nouée. Sa voix devient progressivement lourde, sous le poids de ses sentiments.

Une petite larme finit par franchir la porte de ses yeux. Elle l'essuie immédiatement, avant de poursuivre, d'une voix chargée d'aversion :

« ... Mais un jour, lors d'un évènement qui lui tenait à cœur... Ils ont en profité pour l'humilier publiquement et la piétiner sans la moindre hésitation... Elle n'en pouvait plus de subir un tel cauchemar. Alors, elle a décidé de mettre définitivement un terme à tout ça... Tout ce que j'ai pu faire ce jour-là, c'est tenir son corps sans vie, pendant qu'il refroidissait dans mes bras... et le pire, c'est que les étudiants présents, ces ordures, s'en réjouissaient... certains même se sont mis à prendre des photos de son cadavre, sans le moindre respect... Il n'y a que des démons tels que les humains pour commettre des atrocités pareilles... »

En lisant l'expression faciale d'Agiel et en écoutant le ton qu'elle emploie, Al ressent lui aussi de la tristesse. Il peut imaginer à quel point elle est affligée par cet évènement. Lui aussi a vécu des persécutions similaires, alors, il ne peut que comprendre.

« C'est donc pour ça que tu détestes autant les humains... Alors, tu as décidé de les tuer sans laisser de traces pour te venger ? conclut-il.

— Mon intention n'a jamais été de les tuer

— Comment ça ?

— Tu sais, depuis que cet évènement a eu lieu, peu importe le temps qui a passé, la douleur est toujours aussi profonde qu'à l'instant où je l'ai vécu. Chaque fois que je ferme les yeux, ne serait-ce que pour les cligner, je revis littéralement cette scène, ce qui crée une boucle infinie.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Comment est-ce possible ?

— Il s'agit de la nature de ma malédiction. Dès lors que mes paupières se referment, mon esprit visualise systématiquement l'évènement qui m'a suscité le plus de tristesse, donnant l'effet de vivre réellement la scène... Avant, c'était le meurtre de ma mère que je revivais, mais ça a été remplacé par la découverte du cadavre de mon amie. »

Al est éberlué. Ses expériences lui ont appris que peu importe la peine que peut susciter un évènement, avec du temps, la douleur finit par s'atténuer d'elle-même. Cependant, dans le cas d'Agiel, c'est pratiquement chose impossible.

Elle continue son récit, le temps qu'Al se remette de ses émotions ;

« Il m'est impossible d'éteindre cette rage, cette peine, ce dégoût qui brûlent en moi. Alors, j'ai trouvé un moyen d'atténuer ces sentiments... Faire subir aux humains ce qu'ils m'ont fait subir. Tu sais, ils sont tellement faciles à manipuler... Lorsque je brise une amitié, il me suffit de leur faire ressentir l'un envers l'autre, une colère infinie et profonde. Une colère telle, que jamais ils ne pourraient se pardonner. Cependant, au-delà de cette colère, vient s'installer ce sentiment de vide... lorsqu'on perd quelqu'un qui nous est cher... Dans leur cas, cette personne peut toujours être récupérée, mais leur égo leur en empêche, et petit à petit... ce sentiment de vide devient un gouffre qui les engloutit, et duquel ils ne pourront jamais sortir... Mais ça, c'est dans le meilleur des cas. Certains vont jusqu'à s'entretuer, mais je m'en fiche complètement. Ils partagent la même expérience que moi, que la personne qu'ils affectionnent soit vivante ou non. Et ça me procure une joie éphémère qui me permet de calmer ma douleur.

— Alors, en fait... tu fais tout ça... juste pour te sentir mieux... ?

— Absolument. »

Al reste silencieux un moment. Il comprend ce qui motive Agiel, même s'il n'arrivera jamais à imaginer à peine ce que peut ressentir une personne qui revit à pratiquement chaque instant l'évènement le plus tragique de sa vie.

Tout ce qu'il espère, c'est qu'il pourra résoudre cette affaire sans effusion de sang. Il réfléchit minutieusement afin de trouver une solution à ce problème très délicat. Un seul mot mal choisi risquerait de tout gâcher.

« ... Je ne peux pas te donner tort, après tout ce que tu as enduré », avoue Al.

Agiel est étonnée. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit aussi compréhensif...

« Cependant, tu t'en prends à des gens qui ne t'ont rien fait. Sois raisonnable, arrête », demande-t-il le plus calmement possible.

Le visage d'Agiel se décompose, passant de la tristesse à la fureur.

« Ne joue pas au sage avec moi, lâche-t-elle d'un ton sec. Tu ne vaux pas mieux que tous tes semblables.

— Pardon ?

— Je vais t'avouer une chose. La raison pour laquelle je me suis collée à toi n'est pas que je cherchais désespérément de la compagnie. Je voulais seulement te faire passer un test. Après avoir passé des années à ruminer ma haine des humains, j'ai émis la réflexion comme quoi je pouvais me tromper, et que je vous détestais à tort. J'ai donc décidé de mettre toute ma répulsion contre vous de côté, et de vous donner une seconde chance. Je t'ai choisi par hasard comme cobaye, le jour où tu as renversé ton café sur ma robe. Et une fois l'expérience terminée, je me rends compte que j'avais raison d'éprouver autant d'exécration pour ton espèce. Pour résoudre ton enquête, tu n'as pas hésité à me manipuler et à piétiner mes sentiments en te faisant passer pour mon ami. Tout ça, pour ton intérêt personnel... Un comportement typique des rats que vous êtes. Tu me donnes la nausée... »

Al est décontenancé par son raisonnement. Il n'a jamais voulu lui faire du mal, et encore moins dans un but égoïste.

« Ce n'est pas ce que tu crois, je...

— Écoute, Al ! s'emporte-t-elle de rage. Tu as deux options. Soit tu t'écartes de mon chemin et tu ne recroises plus jamais ma route, soit tu deviens mon ennemi. Choisis, maintenant !

— Je vais choisir la troisième option.

— ... Alors, je n'ai plus rien à te dire. »

Al est abasourdi. Jamais il n'aurait pensé que les mots qu'il a utilisés pour la convaincre provoqueraient un tel courroux. Ou alors, peut-être était-ce tout simplement impossible de lui faire entendre raison ?

De l'extérieur de la maison, on peut voir Al, violement propulsé par la fenêtre du salon qu'il brise au passage, pour s'affaler sur les herbes du jardin, la joue en sang.

Il a lamentablement échoué, aussi bien pour résoudre le conflit par le dialogue, que pour le test d'Agiel. La piéger pour découvrir son identité n'a fait qu'exacerber sa haine.

« Tu sais ce que j'en fais, de mes ennemis ? vocifère-t-elle, en le rejoignant par la porte d'entrée.

— Laisse-moi deviner ta prochaine réplique d'antagoniste. Tu t'en débarrasses, c'est ça ? »

Il soupire.

Al se relève donc à contrecœur, n'ayant pas le choix pour ce qui va suivre.

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