Chapitre 45 : Simeon

Simeon Lesser était comptable. Le nigh aimait son travail, cependant, il ne supportait pas ses collaborateurs. En dehors des rapports purement professionnels, il ne s'approchait et n'avait jamais développé un quelconque lien avec eux. Il les méprisait tout simplement parce qu'il les trouvait incompétents, à cause des procédures mal suivies, clients non respectés et des nombreux conflits internes qui les empêchaient d'être efficaces.

Cependant, selon lui, la cause de tous ces problèmes était le dirigeant de la société, qui faisait preuve d'une mauvaise gestion. Simeon était fou de rage lorsqu'il lui parvenait certaines factures de charges qui n'étaient en rien dans l'intérêt de l'entreprise. Mais il n'avait d'autre choix que de s'exécuter.

Comme l'appréhendait le nigh, la société finit par avoir de sérieuses difficultés et peinait à rembourser ses créanciers. Le comptable voulait être transparent dans la communication des informations financières, néanmoins, le dirigeant n'était pas du même avis. Il lui ordonna de falsifier les comptes, afin de camoufler leur situation alarmante et garder leur crédibilité. Le supérieur craignait d'être révoqué et était prêt à tout pour garder son travail. Simeon ne put résister à la pression et fut obligé d'obéir.

Hélas, l'organisation ne survécut pas longtemps. Lorsque la vérité fut dévoilée, le nigh, ainsi que son supérieur, furent arrêtés pour avoir produit des informations qui faussaient la situation financière de la société. Bien que sa peine fût moins lourde que celle du dirigeant, il fut condamné à la prison ferme.

Lui qui avait toujours tout fait pour suivre les normes de sa profession, comment en était-il arrivé là ?

Durant son séjour, il était rongé par ce sentiment d'injustice. Une rage indescriptible bouillonnait en lui. Ce fut le choc psychologique qui lui fit éveiller ses pouvoirs, à l'âge de vingt-neuf ans.

Lorsqu'il fut libéré, à trente ans, il ne tenta pas de maîtriser ses pouvoirs, ni de suivre une quelconque voie. Il ne savait plus où il en était. Ce qui était sûr, c'est qu'il haïssait les individus. Il avait tout le temps un regard froid et hostile. Il ne ciblait aucune personne en particulier : c'est la société qui le révulsait. Il n'essayait donc pas de garder contact avec qui que ce soit. Ami ou famille, il n'avait besoin de personne.

Vivant dans une solitude dans laquelle il s'était volontairement plongé, il passait ses journées à déambuler dans les rues, sans but fixe. Cette période renforça son exécration pour les gens. Il fut témoin de nombreuses infractions publiques : une personne âgée se faisant voler son sac, une femme qui se faisait harceler par un coureur de jupons, des jeunes victimes de bizutage, de racketteurs...

Mais personne ne venait à leur secours. Tous se contentaient d'observer sans réagir, ou s'empressaient de quitter les lieux, ayant d'autres occupations. Cela le dégoûtait.

C'est alors que près d'un mois plus tard, une rencontre fatidique eut lieu.

Il se faisait tard le soir. Un adolescent était entouré de garçons de son âge, mais largement plus imposants physiquement. Il tremblait face à ses bourreaux.

« Encore lui... ? Ils n'ont pas fini de lui extorquer son argent ? », pensa Simeon, face au spectacle désespérant.

La victime, frémissante, tentait de bafouiller des mots incompréhensibles, quand l'un des grands musclés le souleva par le col, le regard menaçant.

Le reste se passa tellement vite que Simeon ne comprit pas tout ce qui s'était passé. Les quatre montagnes de muscles baignaient dans leur sang, dénuées de vie.

Les yeux exorbités de surprise, il aperçut un blond, face à la victime.

« M... Merci infiniment... balbutie le garçon. Je... je n'ai malheureusement pas la somme que je vous dois maintenant... mais...

- Tu n'auras qu'à me rembourser plus tard », interrompit calmement le blond, dont les yeux étaient constamment fermés.

L'adolescent s'inclina en signe de reconnaissance, avant de quitter les lieux.

Simeon, toujours confus par la scène, se mit à réfléchir. Il détestait les individus à cause de leur passivité face aux situations injustes qui se dressaient devant leurs yeux. Mais en jugeant les autres sans faire quoi que ce soit à son tour, était-il différent d'eux ?

L'ancien comptable se rapprocha de l'individu mystérieux, qui s'apprêtait à s'en aller également.

« Qui aurait cru qu'il existait toujours des héros dans cette ville ? ironisa l'adulte.

- Ne te méprends pas. J'ai été payé pour ça, rétorqua le mercenaire.

- Non, tu crois ? »

Le jeune homme ne répondit pas au sarcasme de Simeon. Ce dernier le jaugea du regard. Sans même s'en rendre compte, l'expression de l'ex prisonnier avait changé. Ce n'était plus cet air froid et hostile. Il était curieux. Alors que le blond commençait à partir, il se mit à le suivre.

« Es-tu sûr que c'était pour l'argent ? continua Simeon. Ou est-ce simplement une excuse ?

- Pourquoi me suis-tu ? »

Simeon écarquilla ses yeux. Il ne s'en était pas aperçu. Il se mit alors à sourire. Lui qui détestait autant les gens, comment se faisait-il qu'il fût attiré par l'aura du jeune homme ?

« Je ne sais pas, avoua Simeon. Je n'ai nulle part où aller. Qui es-tu ?

- Skill. C'est tout ce que j'ai à dire et je ne me répèterai pas, expédia-t-il.

- En voilà un surnom présomptueux, se moqua l'interlocuteur. C'est parce que tu te considères comme une pointure au combat ?

- Affronte-moi et tu comprendras.

- Hmph. C'est vrai que tu m'as impressionné, tout à l'heure. »

L'atmosphère devint silencieuse pendant un instant. Simeon se mit à penser. Peut-être avait-il trouvé une personne différente ? Lui qui errait sans but, peut-être était-ce une occasion de choisir une nouvelle voie ? Il voulait en savoir plus sur ce Skill. Il lui adressa alors une requête qu'il n'aurait même pas envisagée il y avait quelques minutes de cela :

« Apprends-moi à me battre. »

Skill se retourna, étonné. Mais après réflexion faite, il trouva qu'un puissant combattant aurait pu lui être utile.

« Quel est ton pouvoir ? interrogea le jeune homme, intéressé.

- Mon concept est celui de la fatigue.

- Ça peut être une capacité redoutable, si elle est maîtrisée. Très bien... je n'accepterai qu'à une seule condition. Si je t'entends te plaindre ne serait-ce qu'une seule fois, c'est terminé, imposa-t-il, le regard extrêmement menaçant.

- Hmph... pour qui tu me prends ? rétorqua Simeon, ne se laissant pas impressionner.

- ... Alors retrouve-moi demain au même endroit... »

***


C'est ainsi que son entraînement commença. Bien que ce fût rude, Simeon ne manquait pas de motivation. De plus, sa morphologie lui offrait un certain avantage au combat.

Quelques mois plus tard, il était à même de remplir certaines missions que Skill lui confiait. Contrairement à tous les postes qu'il avait occupés auparavant, les ordres qu'il recevait lui donnaient de la détermination. L'écart d'âge entre lui et son chef l'importait peu. Il aimait combattre pour lui.

Encore plusieurs mois plus tard, Skill finit par lui expliquer son projet, qui consistait à infecter tous les nigh et supprimer leurs émotions. Il y adhéra sans hésiter. Son rôle était d'assassiner les criminels avérés.

C'est ainsi que Simeon devint le premier combattant du groupe, après le créateur.

Cependant, toutes les missions n'étaient pas faciles à remplir. Un soir, l'assassin alla voir Skill chez lui, afin de lui faire son compte rendu. Cependant, sa lèvre inférieure était arrachée. Ses incisives et canines étaient parfaitement visibles.

Bien que les blessures eussent cicatrisé, la lèvre était impossible à régénérer. Son chef était abasourdi.

« Simeon... que t'est-il arrivé ? s'enquit-il.

- C'est la nature de ma malédiction, que je viens de découvrir... expliqua le concerné, s'efforçant de garder son calme. Comme tu le sais, je peux vider mes adversaires de leur énergie, mais le coût pour cela, c'est que mon corps ne peut utiliser qu'une quantité limitée de mon Drive pour se régénérer. Autrement dit, les blessures légères peuvent être soignées, mais celles qui sont graves ne pourront jamais se refermer entièrement.

- ... Et c'est tout ? insista-t-il, dubitatif.

- ... Plus je dépenserai mon Drive... plus la cicatrice s'agrandira, consumant peu à peu ma chair. »

Skill devint encore plus angoissé. Jamais son subordonné ne l'avait vu dans un tel état. C'est avec amertume que le blond lui adressa des paroles qui furent terriblement amères à prononcer :

« ... Merci pour tout... »

Simeon fronça les sourcils, puis l'interrompit en éclatant de rire.

Un rire tout aussi amer.

« Pourquoi tu fais cette tête ? À quel moment j'ai dit que je finirais dans un fauteuil roulant ? s'efforça-t-il d'être sarcastique. N'essaie même pas le coup de la lettre de remerciement.

- Tu ne comprends donc pas ?! s'emporte Skill dans sa détresse. Si tu perds un bras, c'est à vie. Donc plus tu te battras, plus tu perdras en chair, et ça ira jusqu'à l'épaule. En continuant de combattre, tu te détruis à petit feu. C'est hors de question que... !

- Écoute, gamin. J'ai accepté d'obéir à tes ordres, mais je reste maître de mes décisions. Que tu le veuilles ou non, je continuerai de me battre pour toi, est-ce que c'est clair ?!

- ... Il n'y a donc rien que je puisse faire pour t'en dissuad...

- Absolument rien. Ne t'inquiète pas pour moi, je ne suis pas du genre à me faire avoir aussi facilement. D'autres blessures graves, tu n'en verras pas sur moi. »

Simeon regarda Skill, qui avait un air des plus tristes. Le silence dura pendant une longue minute. Jusqu'à ce que le jeune homme le brise, de sa voix mélancolique :

« Promets-le-moi. »

Simeon s'avança vers lui et posa sa main sur son épaule, ne pouvant plus masquer son air affligé.

« ... je te le promets. »

Sur ce dernier échange de mots, l'adulte faussa compagnie à son jeune ami.

Laissant un Skill tracassé par l'avenir de son subordonné.

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